J’ai vu des photographies de la ville grâce à Aleski, l’un des marins. Sa famille habite actuellement dans une maison du quartier de la Casbah. Les habitations aux murs blancs et aux toits plats sur la colline surplombent la mer et construisent un chaos étagé. Les terrasses ouvrent leur espace sur la méditerranée ; la nuit, fraîches elles accueillent la sieste des enfants et la famille d’Aleski aime s’y reposer. La Casbah intrigue toujours les voyageurs. Des escaliers escarpés aux marches usées et poussiéreuses conduisent dans un véritable dédale de ruelles qui s’embrouillent comme un écheveau indescriptible, pressées de tout côté par les toits. Ce labyrinthe emprunté, la rue Tombouctou débouche par hasard, la ruelle en pente est dévalée par des enfants qui jouent pieds nus et s’appuient sur les murs délabrés laissant apparaître l’empilement de briques sèches. Plusieurs d’entre elles se détachent avec facilité et les gosses les font rouler comme des cailloux par amusement jusqu’à ce qu’elles tombent sur la route de la grenouillère et enfoncent dangereusement les tuiles des maisons en contrebas. Plus loin, une échoppe recèle un capharnaüm d’objets hétéroclites depuis les babouches en cuir brodés avec de sequins dorés, des tapis multicolores tissés à la main, des poteries artisanales qui viendront décorer l’intérieur d’un logis. Ils côtoient dans l’échoppe voisine des plateaux en cuivres ornés de motifs géométriques qui servent à accueillir des montagnes de fruits, des bassines ou des aiguières fabriquées avec adresse par le dinandier qui seront exhibées avec fierté dans les foyers. Un chat roux s’en échappe et vient s’allonger sur une marche de pierre au soleil alors que des tabourets en bois un peu plus loin attendent les joueurs de dhama qui ne manqueront pas de venir s’y installer et de faire une partie en fin d’après-midi lorsque la température sera trop chaude. Un murier se détache d’un jardin caché et ses branches dépassent du mur alors que les feuilles vert sombre qui émergent donnent de la fraîcheur à l’endroit. Des chats surgissent de nulle part, comme des fusées vivantes, inattendus ils surprennent toujours, en passant entre vos jambes et menaçant de vous faire perdre l’équilibre. Des balustrades en bois entourent une porte grillagée et rouillée qui ouvre sur une cour intérieure pavée de carreaux en céramique bleue. La fontaine d’eau au centre fait entendre son bruit cristallin et rafraichit l’air alors que s’avancent les branches d’un magnolia d’Asie. Au bout de la ruelle des bambous plantés dans un pot ondoient à la moindre brise, leur bruissement sec fait tressaillir. En face, un figuier s’adosse à un mur, l’herbe folle autour a pris racine et soulève les pierres qui disjointes sont devenues moins stables. Des hommes se sont arrêtés tout près, immobiles. Ils semblent attendre patiemment un mystérieux signal. Leurs silhouettes se détachent à contre-jour. Nul bruit s’en échappe. C’est la fin de la journée, la chaleur est à son comble. L’atmosphère est moite dans la ville. Un commerçant, vêtu d’un kamis blanc sort d’une petite échoppe en contre-bas et se joint à eux. Ils s’assoient silencieux, en tailleur, à quelques mètres autour d’une petite table, l’un d’eux installe le jeu de dhama et la partie commence dans les exclamations à peine étouffées. Plus loin, un vieux mendiant assis sur le bord du trottoir à la porte de la Casbah tend la main. Son burnous est déchiré et élimé par endroits, il ramène à côté de lui un sac contenant ses maigres effets ainsi qu’une couverture. Les hommes en habits traditionnels réunis autour des deux joueurs s’enthousiasment, des rires fusent alors que l’un d’eux pousse son pion blanc et que l’autre réplique et avance le pion noir. Le suspens se prolonge quant à l’issue de la partie.