Il m’a fallu me lever trop tôt ce jour-là. Je voulais une marge de sécurité pour rejoindre mon train à la gare de Grenoble. Mais avant je devais prendre un des deux autocars quotidiens à Laragne-Montéglin, le LER 31 reliant Nice à Grenoble. Il passait à 10 kilomètres de là où je logeais. Pas d’autre solution que d’y aller en stop.
Donc ce matin-là, j’attends au bord de la route. J’attends devant l’école primaire sous une pluie fine et pénétrante. Très vite je suis prise par une femme conduisant une voiture confortable. À Laragne-Monteglin, elle me dépose sur la route départementale E712, à l’arrêt « Carrefour des Alpes ». J’ai plus de 3 heures 30 d’avance, d’attente. C’est beaucoup. Surtout en dehors du centre, face à un carrefour sans intérêt.
Malgré le poids de mon sac et la pluie, je suis incapable de rester dans la guérite à la toiture de rondins. Alors je fais le tour du pâté de maisons. Au bout de la rue, la gare ferroviaire et à proximité un café terne, sale. Aucune envie d’attendre à l’intérieur. Je préfère encore ma guérite basique, ses affiches d’un Loto et d’un spectacle théâtral. Alors je retourne dans cet abri ouvert, comme un chien dans sa niche. Je regarde les voitures circuler autour du rond-point aux épineux bas, juste devant moi.
Au début je n’ai pas encore froid, mais petit à petit l’humidité remonte des pieds et des mains vers le centre de mon corps. Rien à y faire. Rien à faire. J’espère ne pas m’être trompée dans les horaires de car. Un doute survient, comme pour m’occuper, combler le temps. Aucun horaire sur les parois vitrées, dont une est explosée. Les morceaux de verre tiennent encore les uns contre les autres. J’ai froid en regardant le trafic routier régulier mais peu intense. Pourquoi me suis-je levée si tôt, pour attendre ici, face à ce carrefour nul ? Un utilitaire avec une benne chargée de grosses branches en perd quelques unes sur la chaussée, en tournant. Il repassera les reprendre peu après. Sans incidence sur les autos, les motos. Et surtout j’ai épuisé mon stock de lecture. 3 heures ici, j’aurais le temps d’observer en détail tout ce qui se passe. Et il ne se passe pas grand-chose. Un décor vide si ce n’est de rares passants et quelques personnes garant leur voiture sur le parking voisin, puis entrant dans le bâtiment mitoyen.
Je suis toujours seule à attendre. Le bruit régulier des moteurs des voitures, des camions sur la route Nice-Grenoble me semble discret. Ou alors je m’y suis vite accoutumée. Je m’ennuie de plus en plus et j’ai de plus en plus froid. Un autocar arrive, s’arrête, en sort un ou deux passagers. Le chauffeur me confirme que mon car passera dans plus de deux heures. Et toujours cette humidité envahissante.
Soudain je me demande où entre ce flux faible mais régulier de personnes dans le bâtiment mitoyen. Une plaque m’informe : Centre des Finances Publiques. J’hésite puis entre. Dans la petit local, un employé entre deux âges, un seul, derrière un box, devant un ordinateur. Je lui demande si je peux attendre ici l’autocar, vue la météo. Il ne me paraît pas étonné de ma demande. Sans hésiter, il accepte alors je m’assoie sur la chaise à disposition. Dos à la fenêtre, entre deux plantes artificielles. Près du radiateur avec mon sac et mon attente. Ça devrait être moins pénible à défaut de moins long. Mais toujours sans rien faire. Toutefois je m’amuse un peu de la réaction des contribuables me voyant assise. Ils croient que j’attends mon tour. Cela me distrait. Enfin un minimum. J’entends leurs situations personnelles, leurs problèmes avec l’administration, moi qui suis d’ailleurs, moi qui n’ai rien à faire ici. Rien qu’à attendre, au chaud. A priori ma présence ne leur semble pas incongrue malgré mon sac de voyage. Ils voient que j’attends, j’en ai la postule, l’allure. C’est du moins ce que je me dis. Pour passer le temps. Je me raconte moi aussi des choses sur eux. Je me sens un peu spectatrice. J’ai moins froid. Progressivement les minutes, les quarts d’heures, les demies heures passent. Même réchauffée, je finis par me lasser.
Alors je ressors, piétine puis m’assois sous mon abri. Autour la pluie tombe toujours. J’en ai assez d’attendre sans rien faire,le car ne devrait pas tarder cette fois. Mais il tarde et ça m’inquiète. Un vrai retard. J’attends avec une certaine anxiété. Et si j’attendais pour rien, et si, et si … mais il arrive une demi-heure plus tard. Je monte, m’assoie.
À Grenoble, j’attends de nouveau plus d’une heure mon train. Sur un siège, dans la gare, avec un livre épais. Dehors il ne pleut plus.
On y est complètement ! Et la longueur de votre texte, son attention aux détails, disent si bien cette interminable journée.
Une belle attente, longue à souhait, et qui rend très bien ce long ennui de l’attente un peu inutile au fond,
Merci Catherine de ce retour.
Il est vrai qu’attendre dans l’absolu parait bien souvent inutile. Disons qu’on aimerait souvent attendre moins. attendre un peu pour rêver mais pas trop pour ne pas s’ennuyer.
Pascale, on est avec toi, dans ces pauvres abris, dans cette attente interminable.
Merci pour ce texte qui rend si bien compte de l’ennui d’un jour de pluie.
C’est vrai que s’il n’avait pas fait ce temps humide, la visite au Centre des Impôts n’aurait pas eu lieu.
De ton côté tu as une grande patience.
Attendre quelqu’un 3/4 d’heure c’est long. Surtout quand il ne vient pas au rendez-vous !