#boost #02 | Plus rien ne m’étonne

Pousser fébrilement vers le bas la petite poignée de la petite portière en fer rouge du petit camion de pompier. S’engouffrer dans la petite cabine, s’agripper au petit volant avec ses deux petites mains coincées dans des petites moufles en laine bouclée. Donner au grand monsieur à moustache un petit ticket rose ou vert et sentir soudain sous ses petits pieds qu’on roule, ou que ça roule, c’est pareil. Alors disparaitre à ses yeux à elle. Un petit tour et réapparaître. Ou c’est elle qui disparait et qui un petit tour plus tard réapparait. C’est pareil. Pour elle et sa mère. Un jeu de Fort-Da dans le grand manège de la vie à laquelle la petite s’initie. Dans une rutilante petite voiture rouge avec une grande échelle sur le toit. Pour aller sauver qui sauver quoi. Déjà.


Ouvrir délicatement la petite porte en bois sculptée qui sent l’encens et les bénédictions pour ne pas déranger le silence qui résonne. La refermer comme on est arrivé et s’asseoir sur le fragile banc élimé. S’enfermer si petit déjà dans le mensonge. Découvrir par la grâce ou à cause des confessions du vendredi religieusement organisées qu’on peut dire qu’on a volé des bonbons à la boulangerie même si c’est pas vrai même si on n’oserait jamais, même si on n’aime pas les bonbons de la boulangerie. Gagner le droit d’être bizarrement pardonné. Sortir d’ici après avoir genoux à terre chuchoté à l’oreille d’on ne sait qui deux ave et trois pater. Ne plus se pardonner qu’à soi-même. Peut-être.


Pousser violemment et de toutes ses forces la porte du rez de chaussée première à droite en entrant facile à trouver avant qu’il ne l’empêche de pénétrer. Passer par un couloir noir pour accéder à la cuisine grandes baies vitrées plein soleil ce jour-là. Se planter là avec dans un poing fermé une rage folle de cogner et dans l’autre fermement serré un couteau. Il s’affole, bredouille des mots vaincus d’avance. Elle hurle une question sans point d’interrogation. Qu’est que tu as fait. Tu es un monstre. Livide il tente de s’approcher elle brandit l’arme blanche. Elle s’était réveillée ce matin avec cette obsédante injonction il serait bien d’en finir avec sa vie à lui. Ils sont maintenant l’un en face de l’autre. Le téléphone sonne il a le temps de décrocher et de faire passer l’information. Le tragique le fatidique n’est pas loin. Témoin inattendu pas prévu pas bien venu. Elle renonce plante le couteau dans un morceau de pain qui traine sur la table pas débarrassée de la veille ou de bien des jours avant. Elle s’enfuit. Elle a sauvé sa peau une étiquette de criminelle qui aurait été prestement jugée et condamnée à l’enfermement. « Si le délinquant a tué alors qu’il était en proie à une émotion violente que les circonstances rendaient excusable ou qu’il était au moment de l’acte dans un état de profond désarroi il sera puni d’une peine privative de liberté d’un à dix ans » dixit le Code pénal suisse. Une porte franchie sous une pulsion de justice à faire soi-même vite fait bien fait qui l’aurait privée des éclats de joie de la vie quand même. Lui plus tard incarcéré entre de solides barreaux puis retour à l’air libre aussitôt envahi d’un mal rongeur jusqu’au dernier des petits os d’un corps vengeur. Clap de fin. Porte à jamais refermée.

Trente-six portes. Toutes fermées sauf une. La première est une porte en bois bleu électrique et l’encadrure en lattes aigue-marine. Bord de mer peut-être. La troisième est comme ces portes de salle de cinéma à double battants avec deux hublots ovales la couleur est criarde d’un jaune insolent. Entrée des artistes peut-être. La sixième est gothique entourée de pierres sales. Monastère abandonné peut-être. Une autre est tout en hauteur, cernée de bois peint d’une couleur défraichie un drapeau américain collé sur la grande vitre longitudinale et de chaque côté des vitrines masquées par des volets à lamelles délabrés. Une boutique abandonnée dans le quartier de Lower Ninth Ward après l’ouragan de 2015 en Louisiane peut-être. Une autre encore est un morceau de contreplaqué recouvert de graffitis comme l’encadrement en béton décoré de mille couleurs. Un squat évacué de combien de migrants déboussolés peut-être. C’est une affiche quarante de large par soixante-dix de haut six lignes ou six colonnes six photographies de portes par ligne ou par colonne. La dernière en bas à droite est une porte couleur brou de noix très finement sculptée à sa base et au fronton et dont un des deux battants s’ouvre sur le sable la mer et un ciel blanc bleu azurin. Une des dernières vieilles maisons de Sidi Abed face à l’océan peut-être. Une affiche encadrée et accrochée dans une salle d’attente. Attente utile avant chaque séance dans le cabinet d’une psychologue pratiquant l’hypnose ericksonnienne. Trente-six images de portes offertes vers des ailleurs imaginables pour s’ouvrir de l’intérieur au monde à tous les mondes et s’avancer vers le seuil de sa propre liberté. Peut-être.

Rêver d’une maison sans portes à ouvrir ni fenêtres à fermer. Rêver d’une planète sans frontières à traverser à se disputer à incessamment et sanglantement redessiner sur la carte d’un monde écartelé. Un jour. Peut-être.

https://www.youtube.com/watch?v=Pc2yX2t2teQ

A propos de Eve F.

Rédige des assignations et des conclusions, défend le veuf et l'orpheline, écrit sur le Droit et son envers, la Justice et ses travers, le bien-être et son contraire, les hommes et pas que, le bruit du monde et ses silences, aussi.

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