44° 14′ 35.16″ Y: 5° 4′ 8.4″, un bout de monde
La pluie depuis des jours, un flot continu. C’est une sorte de pluie chaude, à regarder tomber le ciel, je ne fais plus de différence entre le haut et le bas . Tout devient liquide.
Ma mère prie le ciel pour que ça s’arrête ; mais je vois bien à son désespoir que ce n’est pas prévu. La météo nous a juste mis en vigilance rouge. Ça veut dire monter aux étages de la maison, la rivière sort de son lit, inondée par le fleuve, débordé par les chutes d’ eau de ces derniers jours. Pourquoi ? La faute au réchauffement climatique, c’est trop tard dit maman, c’est fini, on ne pourra plus revenir en arrière, ce qui est fait est fait, il faut partir d’ici.
Tu vois j’ai cru qu’on était arrivé dans notre bout du monde, elle dit, qu’il n’ y avait plus rien ni derrière nous, ni devant nous, que de ma fenêtre scintillent les collines de tournesol et de lavande sous le soleil pour toujours. Les rues pavées du village fleuri, les murs ocres et les volets bleus des maisons de carte-postale. Que là , nous sommes arrivés et que nous y resterons jusqu‘à la fin des temps tellement c’est beau.
En soixante ans, jamais vu autant d’eau. Rien ne pouvait prédire ce déluge. Maman pleure : son bout du monde est fichu. Tout est anéanti. Les efforts, les économies, les sacrifices de toutes ces dernières années. Elle en veut à la terre entière mais n’a personne contre qui se mettre en colère, c’est ça le pire.
Viens, on monte à l’étage, elle dit, en me tenant la main. Prends ton sac à dos. On va y mettre quelques affaires. Ils nous ont dit de ne pas nous charger. On va attendre les secours. Ton père est monté sur le toit, il surveille le passage des pompiers. On va surement prendre un canot.
Je retiens mes larmes, pour ne pas rajouter de pleurs à toute cette eau qui nous a envahi.
En me retournant, je jette un coup d’œil vers ma chambre en montant l’escalier et par la porte, je vois que tout mon bout de monde est immergé. Mon lit, ma table, mon ourson, et même mon globe terrestre flottent. Je comprends, je ne retrouverai plus rien. Mon journal noyé dans ma bibliothèque, tous mes souvenirs définitivement engloutis.
Du toit, la terre
ST1
Mon père vient nous chercher , le temps que les secours arrivent. Du toit de la maison, je ne vois que la vase s’insinuant partout. Un mélange d’eau et tout ce qu ‘elle entraine dans son flot discontinu. arbres, terre, racines d ‘arbres, pots de fleur, fleurs , terreau de jardinière, cailloux , rochers, bancs et tables de pierre, puis une sable ocre-rouge. on dirait du sang, je regarde des zones toutes jaunes et ocre. Autour de ma maison , c ‘est plutôt une boue verdâtre. Papa me dit qu’il y a trois ans, il ne pouvait même plus la rincer, c’était tout collant partout: les murs , les portes, les meubles, dans la cuisine, tout était irrécupérable.
ST2
Un arbre flotte , l’eau l’a dépouillé de ses feuilles qui sont allées pourrir là où elles peuvent. Elle a mis à nu toutes ses racines, il semble lavé de sa terre, de ses insectes, des ses vers et de ses larves nichées dans son écorce. Ce n ‘est plus un arbre , c’est un squelette d’arbre. Son corps vient se fracasser sur les murs de pierre du village qui sont immergés et qui commencent à de désagréger, se fendiller et on voit des pierres entières se déchausser des murs et venir grossir les éboulements qui alourdissent le flux de la rivière. Les sauveteurs, en haut-de -chausses, arrivent à peine à se déplacer dans cette vase collante et encombrée de détritus; à cela , s ‘ajoute la puanteur des canalisations qui débordent elles-aussi . Mais il faut bien sortir de ce carnage, et quelques canots déambulent dans la ville, tirés par ces hommes en rouge qui tracent de nouvelles lignes dans l ‘eau épaisse et boueuse.
ST3
Puis la rivière amorce sa décrue, et là , c ‘est encore bien pire. Sur le sol meuble, les cadavres d’ animaux d ‘abord enterrés dans la boue affleurent. On peine à distinguer un tête de chien , un corps de chat , des oiseaux morts comme posés légèrement sur la boue, alors même qu’ils étaient surement épuisés à vouloir se débattre dans cette glu terreuse qui entraine, dans ses profondeurs tout ce qui ose se poser sur elle. Nous regardons ce désastre comme hypnotisés, des corps ont déjà été retrouvés sans vie, noyés , chez eux ou englués dans leur jardin, alors qu’ils essayaient de se sauver. Mais, rien à faire , il fallait monter, monter le plus haut possible et attendre… on avait été prévenu…
La terre n’ est rien devant ces millions de tonnes d ‘eau qui la gonflent, la déforment, lui enlèvent toutes traces de vie: plus de cultures, de jardins, de fruits, de nourriture. Reste les mouches et les moustiques qui tournoient autour des cadavres et des détritus, notre jardin d ‘Eden est noyé, qu ‘avons-nous fait? dit mon père, la sueur collée au front, essayant de remplir, à la pèle, des seaux de boue remontés jusqu’au premier étage.
ST4
La terre inonde le ciel qui pleut. Elle vomit, éructe, se dessèche, se noie dans la voie lactée.
Attention à la fermeture des portes
A Vaison la porte d’entrée de sa maison est restée béante laissant passer fleuve et rivières. Lit, placard et maison de Barbie restent immobiles dans la boue stagnante. La décrue arrive le désastre émerge alors qu’un soleil éclatant inonde de lumière les restes du cataclysme. Plus de colère pour claquer la porte de la chambre aux huisseries engluées. C’était pitié et tristesse à cœur ouvert. Maison fermée sous scellées un pas devant l’autre elle est accompagnée dignement jusqu’aux portières du train qui se referment dans un claquement d’une violence inouïe. Puis c’est un long voyage qui enfile les pays et les paysages jusqu’à la grisaille parisienne. Une autre main aux ongles presque crochus la tire jusqu’à la gigantesque porte de la gare surmontée d’une horloge aux aiguilles disciplinées. Puis c’est encore les portes du métro au bruit métallique qui l’enferment dans le silence. Pas un mot, pour dire l’avant et puis un peu d’après, histoires d’espoir. Rien. Tourniquet, courant d’ air, pollution, escalier, goudron, tête baissée, elle se laisse tirer jusqu’au seuil d’un immeuble ancien aux lourds vantaux de bois sculptés. Eux aussi se referment sur un petit claquement sec et définitif. Elle sait après ça plus de retour possible dans le monde d’avant. D’un tour de clé on l ’a fait entrer dans un appartement en noir et blanc puis dans ce qu’ on lui présente comme son coin. Une sorte de cellule étroite lit tablette étagère fenêtre sur cour sombre. Demain c’est la porte du collège, dormir, réveil à 7h00. Épuisée, paupières refermées, pensées cadenassées.
Tante Sybille
A l’aube, à l’heure où le soleil a peine à se lever, tante Sybille doit venir me chercher à la gare de Lyon. Tante Sybille est la sœur de ma mère. Elle habite Paris, a dû venir nous voir quelques fois quand j’étais petite. Maman me dit qu’elle me connaît bien, mais moi, je ne me souviens pas de cette femme, elle vit seule, elle n’a pas d’enfant. Maman me dit d’être gentille et de faire attention à mes affaires, de surtout tout ranger. Elle a peur que je sois impolie et ou désagréable avec tante Sybille. Elle nous rend service de bien vouloir m’accueillir le temps, pour eux, de nettoyer et de réparer la maison. Maman me dit que ça peut durer des mois. Tante Sybille m’ a inscrit au collège jusqu’à la fin de l’année scolaire. Elle est vraiment très gentille de me prendre chez elle, je rentrerai pendant les vacances scolaires si c’est possible, m’a dit maman.
Moi, je m’assois sur ma valise . J’attends Tante Sybille sur le quai, tous les passagers descendent du train, bagage à la main et se dirigent vers la sortie d’un pas pressé. Tante Sybille devrait arriver. Le temps est long, il fait froid sur le quai.
Et pourtant je n’ai pas peur du vent mais j’ai peur de la pluie. Je n’ ai pas peur des autres mais j’ai peur de rester sans amis. Je n’ai pas peur de tante Sybille, mais j’ai peur d’être seule, de me sentir perdue, dans cette ville, des parisiens, des gens, des grands, des petits, des sans-abris, des voleurs, de kidnappeurs, d’étrangleurs de jeune fille de province, j’ai froid, j’ai des frissons, j’attends. Je n’ai pas peur de tante Sybille, je ne la connais pas. Je n’ai pas peur de l’inconnu, ou si j’ai peur, qu’elle soit froide, sèche, stricte et sévère, comme les méchantes des contes. J’ai peur qu’elle ne me parle pas, qu’elle ne me connaisse pas, ne me reconnaisse pas. J’ai peur d’attendre sur le quai et qu’elle n’arrive jamais. Que tout s’arrête, là, maintenant. Je crois que le soleil s’est enfin levé, je le cherche des yeux , je ne le vois pas. j’ai peur qu’il disparaisse de ma vie. Je me retourne ne le vois nulle part, personne ne peut voir le soleil dans cette gare;
J’aperçois une silhouette au bout du quai. Elégante, perchée sur des escarpins, en imperméable, très grande, avec des jambes toutes fines et de long bras. Elle porte un chapeau cloche. sui cache son visage. Je ne sais pas si c’est tante Sybille. J’attends un signe. Rien. Cette femme marche tout droit en ma direction. D’un pas sûr et rapide. Pas un geste, pas même un signe de reconnaissance. J’attends et ne bouge pas. Tout me fait peur. Elle, le temps, la pluie, le gris. Paris.
tu as bien fait de poursuivre ton fil et de faire glisser « cette eau épaisse et boueuse »
mais ça ne t’empêche pas de revenir dessus, de t’appuyer sur la lecture de Tarkos (incroyable Tarkos) pour accentuer et exalter encore davantage les visions et les émotions
bien à toi, Carole
Merci de ton retour, je vais le retravailler c ‘est sûr…
Force des deux textes prologue et terre ensemble . Continuité nécessaire. Et la proposition résonne . Merci Carole
Merci Nathalie de ce retour, j ‘ai eu du mal avec cette proposition…
l’essentiel est qu’elle résonne. Je poursuis ce projet que j ‘illustre…