# LVME # 03 | oeil du cèdre et cuisines

Fenêtres des cuisines superposées en façade. Le cèdre rescapé des abattages déploie un ample voisinage, à la hauteur du bâtiment, tout près. Vers les intérieurs, ses branches bleutées se sont étendues. Elles sont les longues-vues qui donnent sur les cuisines. Mêmes pièces, mêmes métrages, mêmes portes à gauche après les entrées d’appartements. A partir de là : des variations qui parlent. Cuisines.

Celle qui se trouve au niveau du tronc d’où part une grosse branche faisant penser à la fourche du diapason présente dès l’abord une gazinière simple, proche de l’arrivée du tuyau transportant le gaz de ville. Sur l’un des brûleurs éteints est posée une poêle qui vient de servir à faire le pain sans four et sans repos qu’on retrouve posé en plusieurs exemplaires circulaires dans une grande assiette sur la table rectangulaire contre le mur en face. Quelques chaises basiques autour. Un double évier en inox avec meuble encastré en-dessous. Au fond, près du petit réfrigérateur qui a vécu, un placard de bois clair renferme d’un côté la vaisselle quotidienne et de l’autre toutes sortes d’épices venues de loin en passant par le marché oriental de la grande ville proche. Une grande théière argentée est posée sur la table, non loin d’un bouquet de menthe debout dans un verre rappelant la fraîcheur d’une rivière. Un petit rideau opaque est accroché pour affranchir l’intime, quand tombe la nuit.

Celle qui jouxte le faîte du cèdre : peu d’ancienneté, une lumière crue, rien d’achevé. Equipement. Un réfrigérateur américain flambant neuf sur le côté. Des plaques à induction, c’est l’avenir. Comme pas de place pour l’ îlot central, une petite table grand public, stylée, étudiée pour tenir lieu à la fois de plan de travail et d’espace convivial — il suffit de faire jouer les rallonges— adapté à la petitesse. Avec tabourets, prenant moins de place. Le pan de mur libre accueille un mix étagères-placard assorti à l’ensemble : possibilité moderne de mêler utile et agréable, vaisselle et boîtes de conservation, réserves alimentaires colorées. Un luminaire style industriel. Tendance. Le cuisiniste sollicité a tiré au mieux parti d’un espace contraint. Un double évier en inox avec meuble encastré persiste, en attendant mieux. Pas de rideau : au dernier étage, en 2024, pas besoin.

Celle qui correspond au milieu du tronc, là où le ramier vient se réfugier. A gauche, quand on entre : plaque de cuisson gaz rivée sur le meuble engrangeant quelques ustensiles incontournables, cachés par un petit rideau satiné vintage. Juste après la porte du débarras dont personne ne parle. Au-dessus, une hotte inutilisable, devenue support pour tisanes et boites de thé en attendant. En face le réfrigérateur roux avec congélateur dont le moteur a été changé il y a plus de trente ans par un artisan local qui en avait assez des fausses réparations. A côté, un meuble blanc récupéré, avec battants, et dessus, un petit four électrique bien pratique. Une table ovale, avec revêtement chêne, donnée par des parents attentionnés, assortie de chaises rustiques venues d’une autre maison qu’il fallait vider. Sur la table, un grand pot rassemblant en cascade des plantes qui boivent la lumière et prennent la place du petit déjeuner. Au mur, une broderie au point de tige en rouge sur fond blanc, représentant une bretonne qui tricote, assise sur un rocher. Ouvrage d’une grand-mère avec au-dessus de vrais épis tressés. Au-dessus du double évier en inox avec meuble encastré, éléments de cuisine années 70 , seconde main , en chêne sombre, revenants fixés dans le béton avec renfort lattes, tout ça pour la vaisselle des années qui ont vite défilé . Le bois du dedans répond au bois du dehors. A gauche de la fenêtre, des étagères mariant ustensiles, couverts, petits vases, quelques livres de recettes triés sur le volet, une boule de verre incluant l’hologramme d’une licorne, une lampe de chevet avec abat-jour rouge, des fleurs séchées, des grains de poivre en flacons — un cabinet de curiosités contre le mur. Les deux pans d’un voilage léger portés par une baguette de bambou laissent transparaitre un cœur de paille tressée, visible de l’extérieur depuis plus de trente ans.

Le ramier quitte le cèdre. Claquement d’ailes comme linge secoué ou clap.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.

Un commentaire à propos de “# LVME # 03 | oeil du cèdre et cuisines”

  1. Très belle mise en scène, le cède qui désigne les cuisines décrites et le pigeon. J’adore la dernière phrase, et tout ce qui est dit sur le voilage à la fenêtre ou son absence.  » Un petit rideau opaque est accroché pour affranchir l’intime, quand tombe la nuit ». Si beau, merci, Christine.

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