Parmi les mots qui s’élevaient par moments à l’avant de la Peugeot 205, entre Gil et Lila, on aurait pu entendre cela : ton père ne voulait pas ça, tu sais, dans le fond, c’était un gars bien, il a pas cherché les embrouilles. Gil se serait tu, semblant se concentrer sur sa conduite. Comment t’expliquer tout ça, aurait-il fini par lui dire, tu as à peine trois ans quand tu vois ton père se battre au couteau avec son propre père, dans la cuisine, chez grand-mère. Silence entre eux. Gil aurait allumé la radio et cherché son programme favori, «une furieuse envie de chanter» sur Nostalgie. Les vielles enceintes aurait crachoté les plus grands tubes des années 70 entrecoupés de spots publicitaires. Sans regarder son oncle, Lila aurait soudain demandé : mais enfin, tu l’aimais ton frère, non ? Pourquoi tu n’as rien dit ? Lila, tu n’as que seize ans, tu ne sais pas grand-chose encore de la vie. Ton père rêvait d’un monde qui n’existe pas, il croyait dur comme fer qu’il fallait se battre avec des armes pour détruire l’ancien monde, il se disait prêt à mourir pour défendre ses idéaux de justice. Tu sais Lila, c’est difficile à accepter, mais pour lui, ta grand-mère, ton grand-père, et même ta mère, nous n’étions que des marionnettes parmi d’autres, actionnées par les forces invisibles qui gouvernaient son monde à lui. Ma parole glissait sur sa rage sans pouvoir l’entamer d’une miette. Lila n’aurait pas relancé, perdue dans ses pensées, elle s’était souvent demandée pourquoi son papa disparaissait tout le temps, elle avait tellement guetté sa présence, elle avait tellement craint son regard sombre et son silence, son père n’avait-il été qu’un étranger pour elle ? Au premier feu rouge à l’entrée de la ville, elle aurait tourné son visage vers Gil, elle aurait voulu lui extirper une ultime parole de vérité, elle aurait peut-être murmuré : dis-le maintenant, a-t-il pensé à moi ?
Je découvre votre écriture et je la trouve très belle, je vous en remercie.
Merci Clémence de votre retour très encourageant !