Le premier rond-point. À droite la station d’essence. Blanche. Une route triste. Encadrée d’immeubles ouvriers. Trapus. Austères. Les façades au garde-à-vous. Usées. Mornes. Parfois certaines plus vives, le plus souvent salies, depuis la naissance des jours.
Voix off
Il reviendrait certaines nuits ou la toute dernière fois.
Il aurait dit je veux revoir. Ensuite il aurait ajouté – pour de vrai.
Il serait monté dans la voiture, il aurait longtemps roulé.
Toute une nuit et bientôt la moitié d’un jour.
Il a traversé la fatigue et le frais de la nuit.
Les volets persiennes bancals. Bleu, vert pâle, rouille. Délavés, ternis sous le voile des poussières industrielles. L’ancien pollen de houille et de fer, inépuisable.
Voix off
Il ralentit.
Toujours l’image s’allonge et grandit devant lui.
Il a baissé la vitre pour laisser entrer l’air mais tout le bleu reste immobile.
Il fermerait les yeux pour voir mieux.
À gauche le trou béant de la guérite vitrée et sa barrière levante, le trou de l’entrée jusqu’à l’usine morte. Aujourd’hui bouché d’un banc ou deux sous un arbre ou deux. C’est au bord de la place de pavés clairs. Puis l’autre rond-point et le bureau des ambulances.
Voix off
Maintenant il sentirait le soleil d’été dans l’immobile
Il sentirait le clou du soleil au milieu du bleu
Il entrerait dans le silence
Il sent la douleur dans son dos, entre les omoplates, derrière la nuque
le clou de la douleur il aimerait l’arracher avec la tenaille de la main droite
il tire la peau comme pour soulever un chat d’une main.
La route grise et ses encoches de chicanes claires. Un véhicule stationné pour obstacle. Les bosses des ronds-points obligent à ralentir, canalisent la circulation en voie d’extinction. Un, devant, pile entre la carotte rouge et blanche du tabac et la croix clignotante de la pharmacie en haut de ses trois marches. Plus loin la chapelle, le panneau sur le pilier du portail vert : Notre Dame de Nazareth.
Voix off
Il avance dans le village assoupi
La pâte bleue et sa nasse
Le soleil d’été l’air immobile
La poussière d’ennui.
À l’angle, sentinelle oubliée sur le trottoir, l’ardoise du bistrot jaunâtre. Le plat du jour en craie. Juste en face, offerte, nue, la friche pelée de l’ancienne scierie Brun aux parois de planches sombres.
Voix off
Il a arrêté la voiture. Il descend.
Il marche
Il s’étire, maintenant il se frotte les yeux, longtemps
Des étincelles vives sous les paupières
Imprimés dans l’air étouffant les cris ascendants du bois sous la lame. L’odeur chaude de la sciure.
Voix off
il revient de l’école.
Magnifique texte, j’aime beaucoup « Il a traversé la fatigue et le frais de la nuit », et le clou du soleil, très évocateur, celui de la douleur. Vraiment beau, merci Jacques
Merci tellement Perle ! Là je m’accroche pour rattraper retard !