# anthologie #26 I Dans la mort de la parole

éclatement du bouchon de la bouteille qui se libère de son tunnel de verre et s’élargit dans l’air, éclatement du bouchon de la deuxième bouteille, des pas de talons sur le sol, des pas de caoutchouc des chaussures en cuir, pas qui traînent sur le parquet, élans de salutations, sa voix qui accompagne le bruit des bouchons des bouteilles de vin, cette voix amie, intime, complice qui deviendra de plus en plus envahissante, voce sguaiata, jusqu’à franchir toutes les frontières et dans cette trajectoire qui est sa biographie vocale il me laisse béante face au vide du silence, voce pastosa, pétrie de salive, elle devient un mugissement de bête et cette voix m’emmure, des rires, le bruit strisciante des chaises sur le parquet comme des petits wagons, sa voix de soirée, elle qui parle avec sa voix de cérémonie mondaine, le bruit étouffé des verres qui se posent sur la nappe brodée au-dessus de la nappe, mon silence qui contraste la voix du vin, questa voce ebbra, le timbre plus aigu des couverts, posate d’argento, chant et contre-chant autour de cette table, son ehhh interrogatif, point d’appui de ses phrases, quelques bruits du bois de la table quand on appuie plus fort avec les coudes, une voix plus sobre qui essaie de s’affirmer dans la conversation, elle affronte ce ring en baissant le ton, par son timbre en biais, mais non, le brouhaha l’emporte, elle domine avec ses questions, et pourtant la voix sobre ne démorde pas en baissant encore plus son volume, bruit de bois et de métal de la porte de la cuisine qui s’ouvre, claquement de la porte, quelque pas sur le parquet, élan de voix qui accueillent la surprise, des hésitations comme autre modalité pour prendre la parole, mais les mots de réprobation sur la politique gagnent et les rires convulsifs, la conversation gronde, le son m’épouvante, le fracas grelote sur moi, je m’enfonce dans le silence, il ne m’est pas possible de discourir, j’expérimente la mort de la parole

A propos de Anna Proto Pisani

Passionnée par la création et l’écriture, j'ai publié des textes et des articles sur différentes revues et les ouvrages collectifs sur la littérature postcoloniale Les littératures de la Corne de l’Afrique, Karthala, 2016 et Paroles d’écrivains, L’Harmattan, 2014. J'ai créé et fait partie du collectif des traductrices de Princesa, le livre de Fernanda Farìas de Albuquerque et Maurizio Iannelli (Héliotropismes, 2021). Je vis tous les jours sur la frontière entre la langue italienne et la langue française, un espace qui est devenu aussi ma langue d’écriture.

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