La boîte usée, patinée, ternie est restée ton inséparable. Il a fallu commencer à la manipuler avec précaution, comme une vieille dame. Sur le couvercle les cinq lettres, RIZLA avaient encore de beaux jours devant elles. J’aurais aimé la conserver, cette boîte. Tant de toi s’y est inscrit, tes contemplations, tes méditations, tes marches, tes palabres sur la plage le soir venu, tes lectures, tes grands enthousiasmes. Mais quelle idée, de vouloir conserver de toi l’objet intime qui a sans doute contribué à t’emporter ? N’empêche, bêtement, elle me manque.
Deux lettres à écarter, une chirurgie indolore et insignifiante. J-E. Exfiltrer, puis passer l’éponge et en faire une disparition discrète, un non-événement. Rien. Le binôme cependant est rebelle, joue en défense, se contracte, devient insécable et fait corps. C’est une radiation difficile, un renvoi injustifié. Car, les expulser du texte, c’est s’expulser, soi. C’est déchirant, cruel et injuste. C’est perdre la prérogative du premier plan. Dans le grand champ émotionnel pourtant, quand la moisson se fait avant terme, dans l’inacceptable de ton départ par exemple, non, l’inacceptable de ta mort, le terme hésite à se montrer, -mais s’il faut se délester du JE, ce mot, l’autre, est bel et bien là, brûlant et impudique, tu es morte, c’est terrible et incroyable, c’est bruyant, ça fait mal et ça résonne longtemps, ça cogne, c’est violent-, dans cette friche que deviennent d’un jour à l’autre les jours qui passent, n’est-ce pas légitime d’exposer ses larmes et son incompréhension, n’est-ce pas vital de raconter l’impact, comment les choses se sont passées, si l’adieu a été consommé ? Quand, de tangible, ne restent que les objets, une boîte à rouler des cigarettes, dérisoire et indispensable, -l’odeur de tabac peine sûrement à flotter autour d’elle maintenant, parce que le temps, ça effiloche les odeurs inanimées-, le bruit de son couvercle quand il se referme et auquel succédait celui d’un briquet souvent vide, une boîte, absente, image mentale quasi palpable, qui continue sa traversée du temps, ternie, usée, pourvoyeuse de poison, cheville ouvrière de la grande dégingandée qui t’a cueillie sans préavis, objet intime, terni, vieilli, le genre d’objet dans lequel on plonge pour y réanimer des souvenances et qui trouve le moyen, bien que venimeux, d’attendrir, alors il faudrait laisser les fleuves et bras de mer réparateurs rejoindre leur lit, cicatriser, il faudrait cesser de faire barrage et alimenter leurs eaux. Sur le plongeoir, les cinq lettres, RIZLA, d’une boîte à tabac, paradent pour cacher leur émoi et pour gagner du temps, elles jouent le détachement. Mais surtout, elles atermoient, elles palabrent, elles craignent le vide. On leur chuchote alors qu’elles auront droit au long terme et surtout, que ce n’est pas dans une souricière qui les condamnerait à l’oubli qu’elles s’apprêtent à sauter – au contraire, elles pourront affleurer tant qu’elles veulent à la surface de l’eau et même en sortir pour s’ébrouer dans une évocation sensible-, mais juste dans un paragraphe sans JE, un peu plus distancié.
Du moins, on essaie.
L’essai, pour moi, est totalement réussi. Chaque phrase m’émeut et le rythme d’ensemble accueille et porte.
Merci, Pascale, pour ce commentaire. Sans JE mais non dénué d’émotion effectivement…
Tout à fait d’accord avec le commentaire de Pascale, l’essai est parfaitement réussi. Très beau, bouleversant, si juste.
quand la proposition suscite le texte beau, on se fout un peu de la proposition, on lit le texte et le texte eh bien, il est poignant
Emue par la délicatesse de vos mots!
Merci beaucoup pour vos commentaires, ils me touchent beaucoup.