#anthologie #02 | faire école

Le corps mince penché vers la table, les mains occupées par ce qui semble des petits foulards, des enfants tout autour d’elle, debout, accoudés, les bras posés devant eux, leur visage à hauteur. Derrière elle, une fenêtre à coulisse, et au loin un bosquet d’arbres, des pelouses, le ciel. A leur droite, un placard sans porte, des étagères, des boîtes, des cassettes, des piles de papiers, des pots de crayons, un de ces meubles retapé et détourné de son usage initial. Ce rangement regroupe tout ce qui sert à écrire, dessiner, découper, coller, il marque le bord d’un carré de jeu. Sur un morceau de moquette multicolore, des boîtes de legos renversées, les gros modèles pour mains malhabiles, des amas, des alignements, des tours prêtes à s’écrouler, des plaques couvertes de cubes, comme pavées et des constructions de murs, de passages, de passerelles, une petite vie a eu lieu et ses strates racontent une multitude de gestes et d’intentions. La baie vitrée se prolonge derrière le coin jeu et l’on voit mieux la cour, les plates-bandes le long du bâtiment qui se continue à angle droit, le goudron peint de circuits et de marelles et une vingtaines de tricycles jaunes garés en rond sous un arbre. Au droite de la fenêtre, un mur couvert d’images, décorations, ensemble de couleurs et de formes assemblées selon un ordre, seulement on ne le comprend pas. Au pied du mur, à hauteur d’enfants, quelques tables rectangulaires alignées, des pinceaux et des pots de peintures par nuance dans un bel ordre, des feuilles carrées épinglées dans un panneau de liège dont on voit qu’il porte la trace des ateliers peintures précédents, des lignes de diverses épaisseurs, des tâches, des traces au bord rectiligne résultat d’un dépassement de la page par un pinceau plein d’entrain, des coups de rouleaux reconnaissables aux alvéoles que laisse la mousse dont ils sont fait. Voilà la porte par où sont entrés les enfants quand mères et pères, nourrices, voisines, cousines, grand-mères, grands frères ou sœurs, les ont laissés après qu’ils aient retiré leurs chaussures et enfilé des chaussons légers parfaits pour la gymnastique. La porte ouverte, un aperçu  du couloir laissant entrevoir le passage qui mène aux sanitaires, à la salle de danse et à l’extérieur. Un bureau à l’angle de la porte, registres, courriers, quelques trombones, des ciseaux, une tasse de café refroidi, une boîte de mouchoirs, un verre et une bouteille d’eau, une trousse ouverte sur des stylos dont un rouge et un vert, des post-it, un bâton de colle, quelques cahiers, une ramette de feuilles encore fermée, une pile de mots à distribuer aux familles à la prochaine fin de matinée, annonce d’une sortie, un film pour enfant offert par la mairie,  et le besoin de deux accompagnateurs indispensables sous peine d’annulation. Au pied du bureau, des chaises devant un tableau noir encombrés d’étiquettes de toutes sortes, des prénoms, des objets, des symboles météorologiques, des dessins aimantés avec de gros aimants rouges, des alignements de nombres, l’alphabet en différentes graphies : minuscule, cursive et majuscule. Les chaises forment un demi-cercle, un banc très bas sous le tableau permet de poser des boites de CD, des réserves d’étiquettes à sortir selon les circonstances, une tasse oubliée, un appareil à musique et quelques objets hétéroclites sans usages précis, de ces bricolages improbables que font les enfants laissés libres de l’usage des matériaux mis à leurs dispositions sans contraintes, exposés, prêts à être présentés à la prochaine occasion. Puis un coin Livres, des présentoirs sur des supports verticaux légèrement inclinés, une quinzaine d’albums installesaux titres bien reconnaissables pour qui a connu la littérature jeunesse des années 80/90 : 1- Tu ne dors pas petit ours ? 2- Drôle de papa 3- Ce que mangent les maîtresses 4- Où est Spot mon petit chien 5- Roule Galette 6- Laura 7- Ernest et Célestine ont perdu Siméon 8- Pétronille et ses 120 petits 9- Les trois brigands 10- Marlaguette 11- Laurent tout seul 12- L’histoire de la petite chaussure 13- Le chien bleu 14- La chaise bleu 15- La bonne soupe 16- Avale Leonardochon 17- Max et les Maximonstres. Pour fermer l’espace périphérique de la salle de classe, des poupées, des dînettes, des petits meubles de cuisine et accessoires de jeu d’imitations, maniks, torchons, berceaux, égouttoirs, poussettes, déguisements et chapeaux, quelques sacs. Les enfants autour de la table manipulent maintenant les foulards et à leur tour ils cachent et redécouvrent les petits objets qui servent au jeu, quelques petites voitures, une balle rouge, deux ou trois figurines d’animaux. La femme aperçue tout à l’heure se relève, relève ses cheveux, son tablier collé sur sa maigreur lui fait une silhouette inquiétante, elle rejette ses cheveux en arrière d’un coup de la tête, réclame le silence et l’observation attentive de tous, elle dissimule un cheval de plastique sous le foulard jaune, elle déplace sa main sous le foulard violet puis sous le foulard vert sans reprendre l’objet, s’ils pensent savoir où est le cheval ils lèvent le doigt, et expliquent ce qui s’est passé, les voix fusent, la séance se déroule sur un bon rythme, les enfants adhèrent aux questions, la surprise de certains à retrouver la figurine fait plaisir à voir, ils réclame d’essayer, cachent le cheval sous un des foulards, promènent leur main vide ça et là et jubilent de retrouver l’objet là où eux-mêmes viennent de le laisser. Elle soupire de fatigue, se tourne vers une console placée haut sur le mur au coin de la fenêtre, attrape un mug de thé fumant.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

Un commentaire à propos de “#anthologie #02 | faire école”

  1. Très beau tableau. Belle maîtrise des accumulations / inventaires. Et ce dedans dehors qui donne du peps à votre texte.