J’ai respiré, les poumons se sont défroissés, distendus, dans tous les plis, dans toutes les nervures l’air est rentré, le souffle nouveau à plein s’est suspendu, s’est retiré en prenant le chemin inverse aussi loin qu’il pouvait me quitter, les laissant en attente du battement initié. J’ai inspiré, j’ai expiré.J’ai crié. ils attendaient ce cri. J’ai oublié que je respirais. Je me suis étonnée quand mon souffle a formé de la fumée dans l’air froid, quand ma buée sur la vitre a permis de dessiner mon nom , je me suis rappelé du flux et du reflux en guettant la respiration de l’enfant qui dormait, du vieillard aux yeux fermés, quand je me suis mis à courir et à nager.
J’ai pleuré pour rappeler à moi toutes ces présences miennes, j’ai pleuré la faim, j’ai pleuré l’abandon, j’ai pleuré les câlins et la couche souillée, j’ai pleuré pour m’entendre que je produisais du son, que j’avais une action sur la venue des pleurs et leur départ, j’ai pleuré et me suis épuisée, j’ai pleuré dans la chambre où on ne m’entendait pas où je finirais bien par arrêter mon caprice, parce que j’avais été nourri, j’avais roté, j’avais été changé, j’avais gazouillé et puis au lit.
J’ai oublié que je pleurais. J’ai contemplé le haut, les lattes du plafond, les rayures, l’ombre et la lumière, le ciel dans les nuages, les verticales et les volumes, les feuillages réfléchissants, les motifs dans le mur, j’ai attrapé le monde avec mes doigts et le monde m’a enveloppé et il me portait sur son dos et je me fondais sur la peau du monde, nous étions un. J’ai trouvé le chemin du pouce qui par la crête de mon front, est descendu dans le ravin de mes orbites, s’est cogné dans l’impasse au fond de ma paupière, l’ongle s’est échiné à sortir de la fosse pour retrouver la sortie du labyrinthe, il est descendu le long de l’arrête du nez, a rebondi sur la butée de la lèvre encore cloquée d’avoir tétée. J’ai trouvé l’apaisement.
J’ai goûté ma mère, la terre, les feutres, la table, l’assiette la cuillère, j’ai goutté les formes, j’ai bavé, j’ai mâché, j’ai craché, j’ai mordu la carotte et l’enfant devant moi.
J’ai vécu à l’horizontale en ondoyant, en me retournant sur le ventre, mes mains et mes pieds poussaient, Je me suis redressée sans tuteur, je suis montée sur mes pieds, je suis tombée, je me suis accrochée, j’ai chuté, j’ai recommencé, je me suis tenue debout, j’ai chuté, je me suis déplacée sur les fesses, je me suis redressée, j’ai avancé vers les bras qui se tendaient vers moi, j’ai marché à l’envers, j’ai marché à l’endroit. J’ai avancé à la verticale.