#anthologie #15 #32 #33 #34 #35 | Inconnu à cette adresse

#15 Où habitez-vous ?… Ce sont les noms propres qu’on perd en premier… L’autre jour , je me suis perdu dans le quartier… impossible de demander mon chemin. J’avais perdu mes mots …mais où habitez-vous ?…je ne savais plus le nom de ma rue… en fait… mon adresse … je ne connaissais plus mon adresse…je l’ai pourtant noter des milliards de fois…mais d’un coup… tout a disparu de ma mémoire.., quand j’ai voulu prononcer le.. le… numéro de ma rue… je ne me rappelais plus les chiffres …  42…45…24….54 … ça ne me disait rien… à quoi bon tant de chiffres … pourquoi ?.. pour se situer dans une rue… une  rue….dans un quartier… un quartier… dans une ville… une ville … dans un pays… hou ! j’ai le tournis… je m’égare encore. Je voudrais retrouver le nom de ma rue … bon sang ! . C’est un nom de lieu… peut-être  ou  un nom  d’homme politique ?… un nom  de résistant ?…  un nom d’écrivain célèbre… tiens…sais plus …

Ça y est, ça me revient… La seule chose dont je me souvienne , c’est que c’est une rue qui tourne, vers la gauche… non… vers la droite … c’est ça… une rue qui va vers la droite… je me souviens bien de marcher…et de tourner vers la droite… Ha …il y avait un… un rond-point… ça se complique…le problème c’est bien le rond-point,   et après ma rue va tout droit… mais où…gauche , droite… j’ avance…peut-être que si je regarde un plan , je me souviendrais de l’endroit où se trouve ma rue sur un plan à plat … et je lirais  tous les  noms des rues qui tournent à droite après un rond-point … c’ est ça. C’est une bonne piste…ça …jusqu’à ce que je  tombe sur le nom de ma rue…ou peut être que quelqu’un de ma rue me connaitrait  et me dirait , « Bonjour Monsieur Untel, vous cherchez à vous diriger quelque part …? Vous êtes perdu… ? mais je vous reconnais …vous habitez ici…en me montrant  du doigt où j’habite sur le plan à plat. C’est là , vous habitez là…d’ailleurs nous sommes voisins et nous habitons dans la même rue… » ce serait magnifique !…mais qui peut me connaitre ?… moi qui je ne me reconnais plus … je me suis oublié… Et c’est aussi pour ça… que je ne connais plus mon adresse…je n’ai plus de nom  , je suis…  inconnu à mon adresse …

#32. Alors je me suis dis, je vais finir par me souvenir de mon quartier. Voyons, c’était une zone pavillonnaire comme celle qu’il existe dans toutes les banlieues. Sans histoire. Enfin , il faut le dire vite.  Il y a bien  eu « meurtre dans la rue Morgue » l’autre jour. Il parait que c’est un Oran Goutan qui a fait le coup. Pour un quartier tranquille, il y a de quoi s’inquiéter…mais non…, ça c’est un titre de livre d’Edgard Poe. Mais pourquoi avoir retenu ce nom. Les hasards de la mémoire sont comme ça ? on ne comprend pas toujours.

C’est très difficile de « ne pas se perdre dans le quartier » – mais  allons, allons, ça c’est un de dernier roman de Modiano…– vu que tout se ressemble. Mais que vais-je faire de ces réminiscences qui m’embrouillent complètement… suis-je dans mon quartier ou dans une bibliothèque ?  Peut étre suis-je écrivain , ou bibliothécaire… ? Peut-être est-ce une piste ? c’est ça mon chien , cherche, cherche . on est sur une piste…

Excepté les nains de jardins qui habitent les petits espaces gazonnés, il n’y a pas grand monde à qui parler. Tout le monde est au travail du matin au soir, sauf le dimanche ou les odeurs de barbecue envahissent la zone.

Je me rappelle certains noms de rue pourtant , « rue de la liberté, rue de l’inégalité ou rue de résistance » ces noms de rues ne me disent rien. Qui est libre aujourd’hui, en fait, vraiment libre… qui résiste aujourd’hui , comment m’ y retrouver. Je ne sais pas , je marche , on verra bien. Je vais bien finir par arriver dans un endroit vraiment habité , avec des gens dedans, qui parlent, que me parleront , je veux dire vraiment. me demanderont comment je vais , où je vais , d’où je viens, si j’ai faim ou soif.  Ce serait magnifique ! Tiens ce nom de café me dit quelque chose: « le café de la jeunesse perdu ». Ça y est ça me reprend, du Modino…Moi je dirai plutôt le café de la mémoire perdue. Personne ne peut se douter que je cherche mon adresse, je promène mon chien comme tout le monde. Je pourrai imaginer que mon chien pourrait me ramener chez moi. Mais non, ce chien a une cervelle de moineau. On est tous les deux et je ne sais combien de temps, ça va durer. Ça fait quatre heures que nous marchons on tourne en rond. Tiens, on arrive « rue de la liberté ». Et alors ? Ça prouve quoi ? Je croyais que ceux qui sont sur les routes, sans adresse, comme moi finalement, sont vraiment libres… mais non, quand on n’ a pas d’ adresse , on est libre de rien du tout. Mon rêve , trouver une adresse , où je serai vraiment libre…ce serait magnifique !

 #33

Maison gazon espace doux pour se reposer sans barrière sans clôture sans porte qui s’ouvre et se referme sur soi .

Les autres ceux qui regardent le voisin qui se perd et ne disent rien parce qu’ils ont peur on se sait jamais eux aussi ça pourrait leur arriver de se perdre dans le quartier qu’ils connaissent comme leur poche, des jardins un à coté de l autre et le vieux qui a son sécateur et qui coupe qui coupe tout ce qui dépasse pour faire beau de l’extérieur.

 Bruit doux du système d’ arrosage qui se déclenche à heure fixe.  Ça rafraîchit l’air mais pas les idées , ni la mémoire d’ailleurs. Jonquille jaune géante qui regarde le monde . Étamines oranges qui s’ envolent au moindre vent  et se scotchent au cul des abeilles, moustiques qui pompent et pompent le sang des habitants du soir tranquille qui discutent à la nuit tombée .

#34  Saletés de bestioles. Saleté de réchauffement climatique, c’était pas ça de mon temps ; il n’y a plus de saisons. Heureusement , il y a l’heure de l’apéro. C’est toujours sympa entre voisins ; qui se reluquent pour mieux savoir avec qui ils pourraient bien … clin d’œil , sous-entendu, personne ne saura…

Ah, vous n’êtes pas encore partis. Non je reste avec les enfants ; mon mari est parti en premier ; il prépare la maison de campagne, on a des travaux. Bon, ben si je peux faire quelque chose ,appelez-moi. Pas de problème . On s’envoie … un SMS. Fermer la boucle ; il n’y a rien à voir .  On ferme la porte et on s’organise entre midi et deux, les enfants sont au centre…

# 35 Et… vous là …je suis toujours à la recherche d’ une adresse. Et si mon chien et moi , on montait dans un taxi .

Voix off

C’est qu’il commence à marcher à la recherche d’un taxi-man il hèle un taxi.

Il n’aurait  aucune adresse à lui indiquer . Alors il monte, le taxi-man dit :

On va où ?

il dit: Conduisez je vais bien voir .

Il lui dit : ça ne vous dérange pas si je monte avec mon chien.

 Il répond : Non  pas du tout , j’aime les animaux domestiques.

Il dit : mon chien est un lévrier , il est très fin et très musclé. Poil ras . Il se salira pas votre véhicule. Ça fait seulement quelques heures qu’on ne sait pas où aller ,on a perdu notre adresse.

Voix Off : le taxi-man distrait

Il dit : il vous ressemble.

(Temps)

 Moi et mon chien on regarde par la fenêtre du taxi.

Travelling avant :

On voit défiler la banlieue du Val de Marne . C’est l’ été , il fait chaud . Tout le monde est resté chez soi. Au frais. Sauf dans la cité rouge, en brique rouge des années 60 . Ils ont construit un commissariat juste en bas des tours de la Cité Rouge. C’est son nom. Rouge à cause des briques rouges surement. Rouge à cause du sang qui coule quand il y a les bagarres des jeunes de cité. Rouge à cause des coups de feu qui se perdent dans les poitrines de gens qui n’y sont pour rien. Rouge comme les larmes de sang des mères qui pleurent leur enfant à cause des balles perdues. Celles qui se sont trompées d’ adresse. Comme les flics sont sur place , pour les vérifs  d’ identité des trafiquants  qu’ ils n’arrêtent pas à cause d’autres trafiquants qu’ils veulent coincés . Il y a aussi un collège juste en face. Les enfants n’ont  qu’à traverser la rue pour aller à l’école. En fait entre le commissariat et l’école, ils ont juste à suivre le quadrillage. Profs ou flics , il faut choisir…

Voix off :

Le taxi-man est très gentil. Il demande , alors , Monsieur , on va où ? Je lui dis, conduisez , je vous dirai ça plus tard. Continuer tout droit.  

(Temps)

Il dit :

Après c’est le branchement de l’autoroute, A 86 . 

je lui dis , Ok , va pour l’ A86.

Il me dit , à rouler comme ça ; ça va vous couter cher, vu le prix de l’essence…

(Temps )

 Il n’a pas très confiance. je sens bien ,qu’il commence à être nerveux.

La première fois que je conduis sans adresse.

Il dit : je vais me faire virer si ça continue. Décidez- vous . il me faut une  adresse.

 Je lui dis. Allez à Roissy.

 Ha ok , vous prenez l’avion. Il fallait le dire plus vite.

Je lui dis oui c’est ça. Je pars , j’ai un avion à prendre.

(temps)

Il ne dit plus rien et moi non plus. Je regarde par la fenêtre. Cette partie d’ autoroute est complètement délabrée. Il y des ordures et des sacs poubelles partout ; et plus loin des campements de fortune. Il fait chaud , ils doivent  mourir  la-dessous. Je n’ai pas décidé où aller , mais un aéroport c ‘est bien comme destination. Ça me laissera le temps de réfléchir,  de chercher , une adresse , sur les tableaux d’ affichage des départs.

Voix off  Le taxi freine

Ça y est, vous êtes arrivés, le temps est passé très vite . Il est à l’arrêt. Il me dit ça vous coutera  100 euros , pour vous et votre chien . 

Mais non, je lui dis ,très énervé.  Je ne suis pas d’accord. Je n’ai pas 100 euros à vous donner ! C’est une arnaque. Je vais vous dénoncer à la police pour mauvaise pratique de transport privé.

Il répond violemment :Comment ça ! . J’ai accepté de  vous prendre vous et  votre chien alors que c’est interdit. Et maintenant, c’est moi qui suis en tort !

(temps)

Voix off

Les gens descendent de leur taxi, et se précipitent vers  les portes  « Départ ». On klaxonne, il faut libérer la place , c’est un jour de grand départ. Une famille toque à la fenêtre du taxi. Ils se sont trompés d’aéroport. Ils supplient le taxi de les emmener à Orly. Ils paieront le double de la commission. Mais vite vite.

Le chien aboie . Les enfants s’ amusent avec lui , le chien remue la queue. Le taxi-man  n’en peut plus. Il dit : descendez , le prochain , je le  ferais payer d’avance. Je perds de l’ argent avec vous et je perds mon temps.

Il dit en ouvrant la portière. Fouttez moi le camps!

(Temps)

Je descends du taxi avec mon chien qui remue la queue. Les enfants, les parents  et les valises se précipitent dans le taxi. Et le taxi-man démarre en trombe , excédé…

A propos de Carole Temstet

Née , à Paris en 1966 , professeure de français en invalidité depuis 20 ans , j 'ai fait des formations d'atelier d'écriture chez Bing et Aleph. Diplomée en Développement personnel et en Art oratoire , j 'aide aujourd'hui tous ceux qui veulent trouver leur voi-e-x par l'écriture et la lecture. Coach de vie et animatrice en atelier d'écriture dans les milieux scolaires et associatifs, j 'aide adultes et enfants à développer leur créativité et à y prendre goût au sein de l ' association Mots et Pinceaux à Nogent sur Marne. J'ai publié 2 livres à la Société des Écrivains , un premier roman intitulé "Hors sujet" et un roman pour la jeunesse à partir de 9 ans " Violon d'étoiles" illustré par mes aquarelles, dit par P. Calmon (acteur) et joué au violon par I. Scialom (violoniste). (lien à trouver sur Publibook.fr) site FB : Carole Temstet-Lévy-autrice J 'aime apprendre, lire et être lu, écouter et joué du piano, voir des expos et peindre...

5 commentaires à propos de “#anthologie #15 #32 #33 #34 #35 | Inconnu à cette adresse”

  1. ….. Le rythme qui s’accélère au fur et à mesure de cette déambulation dans des « ordures et des sacs poubelles partout » , autrement nommés ailleurs mais bien identifiables… merci pour cette vision du monde avec ces mots là!

    • Mais c ‘est la stricte réalité. Il y a un tronçon de l’autoroute , identifiable aux tas de déchets déversés. Merci de tes retours et ta fidélité, C ‘est très plaisant d ‘écrire dans ce groupe. je suis vraiment heureuse de voir comment toutes les auteurs partagent leur expérience . merci !

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