Je suis horizontale mon dos a la souplesse du sol la peau dans la terre l’herbe pousse en même temps que moi je suis monde j’apprends ma géographie les limites les frontières tout ce que j’attrape devient mien je le goutte une main s’approche du creux de la paupière cherche le chemin Le chemin pour trouver le pouce le pouce trouve l’arête longe le sillon du nez le pouce dans la bouche succion qui me satisfait pleinement une mouche au plafond des ombres qui bougent les pieds dans le bleu du ciel attrapés je me retourne dans le draps je roule d’un côté l’autre en culbuto et la porte où arrive ceux qui vont tout m’apporter et la fenêtre avec les feuilles collées à la lumière et la porte et la fenêtre toute bleu et le barreau. Je suis horizontale mais je voudrais être verticale je me dresse devant la table je tombe me relève pour mieux saisir le rebord de la table je longe le côté tous les côtés je saisis bien le contour je teste avec mes pieds grenouilles avec mes mains chercheuses d’accroche ceux qui m’apportent l’apaisement me tendent les bras je suis verticale je vais vers les bras tendus je vole dans l’espace sans appui je tiens je n’ai plus de prise je tombe je me relève j’oscille dans le vide devant derrière je fais marche arrière je tombe sur les fesses à quatre pattes je retourne à la table je me relève. Je suis verticale.
Elle est verticale mais à chaque entraînement redevient horizontale. Se relèvera mais pas avant de se réaligner sur le plancher du studio. Pour un aujourd’hui neuf. Reprendre comme si c’était pour la première fois en trouvant les sensations de la colonne qui serpente le corps, en saisissant les points d’appui, les espaces et les ponts. Une peau sur laquelle on ferait couler de la peinture, une silhouette qui s’imprimerait sur une feuille. Picasso avec les constellations. Les points s’étirent pour prendre le bon volume, le bon équilibre. S’étirer en étoile, de toutes ses facettes, sur les côtés, sur le ventre avec le sol pour correcteur, repasser pour enlever les plis d’hier, les froissements d’une semaine, les contractions, les verrouillages, les collages, les traces, les poussières. S’accorder ce ménage la. Elle s’étire au de çà de ce qui semble être sa limite. Arbre avec des racines, de la plus petite d’entre elles, du bout du bout de ses orteils, de l’algus au quintus en passant par les trois coups de pied jusqu’au talon. Arbre avec des branches infinies qui pourraient mieux attraper la lumière, de la dernière phalange de son pouce, de son index, de son majeur, de son annulaire, de son auriculaire. Déployer tous les capteurs. Elle sait que c’est un moment qu’elle s’accorde pour respirer. Que tout est dans la respiration. Allongée pour retrouver un souffle long. Avoir un ventre méduse qui s’enroule autour du nombril pour venir irriguer les poumons avant de redescendre au plus profond du périnée. Que c’est dans cette posture que le ciel se rappelle en coin bleu . Que bientôt elle sera tiraillée par l’envie de regarder la pendule sur le mur du fond. Qu’il faut toujours se rappeler au présent. Que l’attention se travaille comme la souplesse. Que le rythme de l’inspire peut s’allonger, se suspendre à plein. Que le rythme de l’expire peut s’allonger, se suspendre à vide. Que ce flux qui remonte la colonne, ce reflux qui descend jusqu’au doigt de pied, est le moteur de sa semaine, de la phrase, de la parole, de la musique. Que là elle extrapole peut-être. Qu’il faut qu’elle rentre de nouveau dans son corps plutôt que de penser à passer à la boulangerie. Qu’elle doit bien remettre son pied dans sa cheville sa cheville dans son tibia et le péroné dans la rotule le fémur dans le sacrum l’humérus dans ses omoplates l’occiput au bout de sa colonne. Qu’elle doit tout étirer pour recréer des espaces, de la main au poignet, étirer du talon au pied , étirer pour enlever les adhérences. Dans la posture du fœtus d’un côté, elle allonge le bras gauche contre son oreille, la main droite s’appuie sur le plancher, elle se lève d’un côté en tendant le bras,puis se redéploie pour procéder le la même manière côté gauche, réactive tous les hémisphères.Elle est horizontale mais elle voudrait être verticale. Elle se retourne sur le ventre, les bras repliés en aile de sauterelle contre sa cage, elle dresse la tête en sphinx veillant à s’allonger le plus possible sans cambrer en sortant les talons, en sortant ses oreilles, elle s’appuie sur ses paumes de main, sur ses genoux qu’elle ouvre, s’étire comme l’enfant, appuie de nouveau sur le creux de la main, accroche ses doigts de pieds, soulève son coccyx , chien tête en bas, bientôt fini, pose ses mains sur ses pieds, se relève, déplie sa colonne, vertèbre par vertèbre, déploie les bras, immenses, soulève le ciel immense. Se lève. Ensoleillée.
Ca me rappelle un poème de Sylvia Plath : je suis horizontale, mais je voudrais être verticale…
Oui tout à fait. Je me suis inspirée de ce poème pour démarrer et trouver une forme au texte. J’aime beaucoup ce poème .