Une forêt, un chemin, une enfant, trois ans ou cinq peut-être, marche entre ses parents. Le jeu que l’enfant aime que l’enfant réclame que l’enfant redemande inlassablement, le jeu du saut. Elle sent chacune de ses mains fermement serrée dans une main plus grande. Entourée rassurée soutenue. Il faut compter, elle sait compter au moins à trois, il faut compter ensemble à trois, ensemble en faisant trainer chaque nombre. Au bout du compte elle est soulevée par deux bras, elle vole, elle atterrit, elle court devant plus loin, s’arrête et se retourne pour revenir en courant se jeter dans les bras tendus. Elle s’envole, elle atterrit, elle court plus loin devant, elle rit. L’enfant court un peu plus loin dans le plaisir de l’élan avant de faire demi-tour et de se perdre là. Aussi loin qu’elle peut voir dans cette allée, entre les arbres, jusqu’au bout du chemin, elle est seule. Personne autour d’elle, personne derrière elle ni devant. Ils étaient là, ils ne sont plus là, il n’y a pas d’explication qu’elle peut apporter. Effondrement des certitudes. Elle sent le vide. Son monde a disparu quand elle s’est retournée, elle est perdue. Elle reste une éternité sans bouger sans même oser appeler. Ils sortent en riant des arbres derrière lesquels ils s’étaient cachés quelques secondes. Leurs rires, ses pleurs.
Une scène terrifiante quand elle est vécue trop jeune pour comprendre et trop grand pour l’oubli… Pour mon père, elle a été « fondatrice » ; sa mère – ma grand-mère – me l’a dit, et mon père aussi – de quoi était-elle la réminiscence pour eux ? Le secret est parti, l’histoire terrifiante reste.
Ici la scène passe du bonheur joussif à la sensation d’effondrement avec beaucoup de réalisme, je trouve cette consigne autour d’une vision cinématographique très utile pour « donner à voir » et ne pas macher le travail du/de lecteur/ice.
Merci pour ce retour, on marche sur la crête entre restituer l’intensité qui reste encore des années (beaucoup) après sans faire part de l’analyse pour autant. Et toujours la surprise de ce qu’appellent les propositions.
les rires, les pleurs, c’est terrible !
Merci pour le passage.
« Le jeu que l’enfant aime que l’enfant réclame que l’enfant redemande inlassablement » on sait déjà que quelque chose de terrible adviendra. J’aime beaucoup !
Merci Camille.
Très beau texte, merci ! Les adultes ne se rendent pas compte du mal qu’ils peuvent faire dans ce qui pour eux, parfois, n’est aussi qu’un jeu…
Merci à vous
Elle reste une éternité sans bouger sans même oser appeler : bien vu !
Effondrement des certitudes. Expérience de la perte. Et un très beau texte. Merci.