Au sud de B. Une ville. J’y arrivais vers les midi au moment où le soleil haut dans le ciel tend des ombres filiformes arque-boutée dans l’espace. La lumière écrasait tellement les volumes que je ne pouvais pas distinguer les arrêtes des habitations. Il y a peu de contrastes en ce pays, les formes sont indécises, le vent fait plier les cimes de pins, car B est entouré de pins de chêne, de tilleul. Avec ma canne de marcheur en bois noué j’appelle une silhouette. J’appelle les quelques habitants claquemurés dans leur maison, pour éviter la chaleur. J’espère une réponse. J’ai soif. Devant moi l’air fabrique une couche un peu détachée du sol bleutée mauve et jaune. L’air au-dessus est vibrant. Je ne sais pas si au loin les silhouettes des habitations sont des mirages. Au sud de B on ne sait plus rien, les sens nous trompent, avant de s’y aventurer il aurait fallu que je prévienne – il y a une garnison là-bas. Je ne l’ai pas fait dans la précipitation. J’appelle. Quelqu’un fait peut-être une ronde. Sur une passerelle, quelqu’un fait signe en retour. Je suis sauvé. Je reprends ma vitesse de croisière.
A l’est plus haut à une centaine de kilomètres, une route et la forêt. Mon instinct me dit de prendre cette route demain matin, il y a aura un combat à B. Ils les attendent. Je quitte la ville je n’y suis personne, je parle à peine leur dialecte un mélange de différentes dialectes – il y a eu des fouilles archéologiques, on a retrouvé des tablettes d’argile, des objets rituels, des tissus de sacrifice. Ils vont attaquer demain parce que nous sommes riches de notre histoire. Je suis un voyageur, un errant.
Au nord, aucun de ces éléments ne se retrouvent, ce sont amas d’acier, vu de loin, il est inutile de chercher une porte d’entrée dans cette forteresse, on ne voit pas les plans successifs, il faudrait s’approcher pour entrevoir la logique de cette architecture. De loin, des passerelles menant nulle part ou vers des gouffres, des toits pentus, donnant de vives illusions d’optique, comme si l’on percevait ces lieux dans un miroirs déformants trouvés dans une fête foraine. Même au nord, le soleil continue de frapper puissamment les dômes d’acier, les flèches élancées de cette cathédrale de songe comme au sud. C’est vers l’ouest que la cité se déploie, basse sur l’horizon, et la foule apparait en groupe épars, affairée, dans cette cité d’un autre temps, certains travaillent la terre, et on les voit à peine en mouvement ou ce mouvement se perd dans la vibration de cette nappe chaude plaquée sur le sol désertique, et s’il y a mouvement il apparait au voyageur infinitésimal, ils semblent arrêtés figés comme sur un bas de relief antique. Cette terre semble chercher un appui quelque part dans l’immensité du ciel. Me voient-ils arriver, moi qui comme tout à l’heure, à leur approche lever mon bâton pour signaler ma venue ? Il ne semble pas me m’apercevoir.