J’ai dû emprunter ce livre à la bibliothèque communale lors des vacances d’été, je devais avoir entre 12 et 14 ans, un âge où le simple fait d’être guidée par ma seule volonté était un acte d’émancipation aussi fondateur que la lecture des livres que j’emporterai. Ce livre-là, je ne m’en souviens presque pas. Rien ne m’est resté de l’histoire ou des personnages, à part quelques vagues éléments de décor. Mais je me souviens clairement de la sidération d’être projetée dans la fournaise et dans le silence assourdissant de la violence. J’étais cette femme qui marchait, écrasée de chaleur, sur une route poussiéreuse, ses souliers à la main. Ma mémoire a depuis longtemps amalgamé tous les étés de cette époque et désormais les pièces de théâtre, les romans policiers, les grands romans classiques ou historiques ont fusionné et formé un humus profondément enfoui. Mais aujourd’hui encore, cette unique image contient toute la puissance d’évocation de la littérature. Pour toujours, une femme marche sur une route poussiéreuse, ses chaussures à la main, dans la chaleur étouffante et la lumière d’août. Pour toujours, un livre s’ouvre dans le soleil de l’été et le parfum entêtant du grand troène bourdonnant d’abeilles.
force d’une image ou des mots qui la transmettent