Assis là, presque en cercle, dans la chaleur de l’été, sous la fraîcheur verte du tilleul. Certains sur les chaises longues dépareillées ; d’autres, les plus jeunes, allongés sur des plaids. Les voitures sont garées à côté. On en voit certains s’apostropher avec le sourire. Ils parlent sans doute léger, se taquinent. D’autres, presque à tourner le dos, s’adressent à leur voisin ou voisine. Sans doute à demander nouvelles d’un tel, à raconter le dernier périple, les soucis du boulot, du couple ou des gosses. D’autres encore à s’assoupir. Les estomacs pèsent à cette heure. Certains, certaines ont un air de famille ; trois générations présentes. Parfois un regard s’envole, une main se balance et caresse l’herbe de la cour. Bientôt, un se lèvera pour lancer la ballade, toujours le même circuit, une bonne heure à travers les prés et les bois, sur les chemins à vaches et à tracteurs ; on prendra aussi du pain pour les poneys. Les plus vaillants suivront ; sieste pour les autres. Après, on le sait, on se retrouvera pour l’au revoir et les trois bises d’ici. À Noël ou peut-être à l’été prochain seulement, et encore pas tous là, les études, les voyages, la vie vous savez. Se demander s’ils le voient, là. Lui, il suinte partout autour d’eux, dans le paysage familier. La maison de la cour où ils se retrouvent, il y est né, il y a vécu ; ses parents et leurs parents avant. L’herbe pelée devant l’entrée, c’est lui qui l’a usée. Le rosier, il l’a planté et le tilleul, et encore le noisetier plus haut. Et puis cet hiver-là, juste à la limite de l’ombre d’aujourd’hui, en bordure du vieux puits, lui étendu, immobile, dos sur le sol gelé, dur. Le facteur l’a trouvé ce matin-là. Lui portait le journal jusqu’à l’intérieur pour lui éviter de sortir. Depuis combien de temps là ? Je le vois bien emmitouflé dans sa parka marron, cagoule de grosse laine, pantalon bleu de travail, godillots. Il allait où ? Le facteur a raconté, juste ses yeux qui bougeaient. Ils étaient bleus ses yeux. Bleus gris comme le ciel d’hiver de là-bas. Paralysé dedans lui, juste son regard de vivant braqué sur ce vieux ciel d’hiver. Et dedans lui, il voyait quoi ? Qui ? Nous, les siens ? Il n’est pas revenu, il a tenu une semaine à l’hôpital avec sa portion de ciel dans le regard. Je ne l’ai jamais plus revu qu’en souvenir ou sur quelques rares photos. Ils y pensent là, dans la chaleur de leur été, à ce qu’il a pu se parler dans la tête quand il a senti son corps le lâcher ? Je le vois ici, étendu, à nous écouter, à nous regarder depuis son hiver, paisible.