Ce serait donc ça l’écriture ? D’abord le dessous, sur lequel se fixent les mots, les lieux, les gens, une vie moins laide, moins contrainte. On se cache, on flaire l’histoire, on palpe le papier, on savoure les lignes qui naissent, on jette les phrases, des aplats de phrases, on rajoute du bleu, des fois ça gicle, des fois c’est moche, l’encre se dilue, pas assez de rigueur, de subtilité, d’observation et on remet du gris, on épaissit le dessous. Des fois aussi, parfois même souvent, le dessous résiste, il occupe toute la page, rien à mettre dessus, on ne voit que la grisaille, rien ne s’imprime, on se sent ridicule, on a honte, on envie les autres, les vrais, on retient l’expression « écriture au couteau » comme on dit peinture au couteau. Superposer les dessous, épaissir la grisaille encore et encore, collecter, tendre des passerelles, entrecroiser, ne pas renoncer, se poser comme le chiffonnier des mots.
Si l’on n’est bon qu’à ça ! Écrire quand même.
#11 Lecture, écriture…
« Il arrivait qu’un livre, ouvert sur le dallage de la terrasse… »
En ce moment, une petite fille traverse mon esprit. En cachette la petite fille alignait des mots sur des cahiers à spirales qu’elle camouflait où elle pouvait. C’était des bouts de sa vie, des respirations, ça regardait personne. C’est tonton Marcel qui lui a donné son premier vrai carnet, le papier ne sentait pas très bon, l’odeur de l’usine, la couverture était marron, comme de la peluche. Il a dit
« Tiens, c’est pour tes écritures, ma poulette » Et la poulette a écrit son histoire.
« J’ai huit ans, j’ai fini de lire mon livre d’école,
Menteuse me dit ma mère, t’en as pas marre de faire ton intéressante ! Alors raconte
Plutôt crever! »
Après, la poulette a fauché des livres, à la bibliothèque ou chez tata Paulette. Elle pouvait les garder si elle voulait, c’est ce qu’a fait la poulette, il y en avait partout.
J’écris, « j’ai dix ans, ma mère gémit en passant son chiffon, mais qu’est-ce qu’elle écrit encore? Et tous ces livres, c’est pas ce qui va te nourrir plus tard! Sido, Claudine à l’école, Journal à rebours … on est des ouvriers nous, pas des poètes ! »
La poulette a recopié « pour n’avoir pas choisi le printemps, diapré et ses nids, je n’eus qu’une note médiocre ». Elle trouve ça tellement beau…
J’aurais pu rester suspendue à ces années, des années de lectures et de mots qui en convoqueraient d’autres. Je musarde, je lis, j’écris, Colette, Woolf, Annie Ernaux et tous les autres… écriture, lecture, indissociables, c’est comme l’enfance, tout s’attache… Quand on lit on oublie tout, on vit, on est à l’intérieur…
Envoyé de mon iPad
Très attachante la poulette et j’aime bien aussi toute la matière de la grisaille, merci.