#anthologie #12 | la gloire des nations

New York où, les jours comme ceux-là, tout était encore tranchant – on pourrait penser glorieux opulent ou seulement tranchant aigu et frénétique – contaminant le ciel d’un bleu surréel, réverbérée dans la multiplication des fenêtres sans teint. La silhouette qui y marche dans la foule ne renvoyant à rien d’autre qu’un aveuglement irisé, impossible à l’œil nu de voir nettement les tours, écrasé par l’image de la ville. Le long de la Première avenue, selon que la perspective dégage en accès plus direct à la mer, bordée d’un côté par le pont d’accès à la presqu’île, de l’autre par le gros immeuble à la gloire des Nations — nations commerçantes, exportatrices, importatrices, industrielles, industrialisées, nations alliées belligérantes ennemies, nations civilisées développées en voie de développement — écrivant dans le flot discontinu des passants formant une sorte d’agglomérat provisoire autour de l’ombre immobile penchée sur son carnet, puis, débouchant sur la Deuxième avenue, la perspective oblitérée des deux côtés, la vue désormais en plongée au sud, gardée encore au centre par les deux tours en vigie sur la mer et la sensation invisible de l’océan derrière.

La front posé sur la vitre à l’arrière à regarder longtemps les alignement familier de vignes s’enfuir en grands cercles tournants le long de la route, les écritures nettes encadrées de rouge annonçant Saint-Macaire, après ceux de Marmande, Loupiac, Cadillac, et Bazas, toute une pâte de noms de lieu avant d’y arriver, petites maisons agglutinées, se débordant, presque superposées, pierres serrées anciennes jusqu’aux pavés des rues, contenues par la grande muraille, tout le village en pente à l’intérieur de l’enceinte défensive, les meurtrières comme des entailles noires, endimanchée et, après avoir fait la photo de famille sous un grand marronnier sur le parvis de l’église médiévale, levant la tête les yeux plissées, rencontrer pour la première fois le regard d’une gargouille

Vers Beyrouth, accroupie sur le bord de la route qui la surplombe, au détour d’un virage sur le ciel rose, la masse plate de la ville en gangrène sur la mer, les tours sombres et les grues maritimes en rythme vorace qui se détachent, la mer calme pourtant et le son lointain, un peu dilué dans l’espace, et au milieu le moutonnement de constructions grise et denses qui se meut, regardant depuis le panorama le son de la destruction, le mouvement inversé et lent de l’effondrement au milieu de la vibration.

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