#anthologie #11 | retour de nuit / trajet habituel

Un mois de retard, comme les minutes du matin je mets exactement sept minutes pour aller au cabinet l’autre appartement ce n’est pas en voiture, c’est à pied mais je vais donc me prendre au jeu d’écrire ce texte en sept minutes (lit-on au même rythme que l’on écrit?) et de le vivre comme je vis mon trajet ce qui est une réminiscence (j’ai eu du mal à me souvenir de l’orthographe et ai déjà perdu quelques secondes) et donc déjà un peu faux et retravaillé peut-être faudrait-il parler au dictaphone pendant les sept minutes et ensuite le retranscrire comme écrit John Irving, par contre je ne fais pas le chemin de quand je vais au travail je vais plutôt prendre le chemin du retour ça m’est venu plus naturellement sûrement parce qu’à l’aller je ne regarde rien je pense juste à ne pas être en retard avoir au moins les trois minutes nécessaire pour ne pas avoir l’impression que ma journée ne m’appartient pas mais que tout de suite elle est happée par l’agrippement des patients non c’est faux à l’aller il y a toujours quelque chose que je regarde c’est cette grande terrasse sur l’immeuble qui fait l’angle, cette terrasse en bois avec ses fausses plantes et ses quelques brins de menthe et je lève à chaque fois le regard malgré moi et je me demande « est-ce ici qu’il vit? »

au retour je ne passe par cette rue là, au retour j’essaye de me faire des surprises, de me surprendre quant à la rue que je prends pour avoir l’impression de m’appartenir encore mais les possibilités sont limités à trois rues, d’abord je descend dans cet escalier sombre il y a généralement des papiers ou des mégots ou je croise un voisin avec ses yeux cernés dans cet immeuble de marchand de papier, immeuble de passe, mais qu’est-ce que mon cabinet fout là-bas et qu’est-ce que moi je fous ici et dans la rue toujours ce gros type avec son ventre proéminent qui regarde le parcmètre et ça m’hérisse moi et mes pantalons en lin et mes talons et je tourne sans regarder je remonte la rue voitures, poubelles, est-ce que je tourne à gauche à la première comme ça au bout je tourne à droite et je passe devant la petite galerie d’art, ça me donnera le sensation de voir du beau mais non parce que je n’aime pas ce que fait cette galerie je trouve ça cheap ça me ramène à mon ennui ici, écrivaillon du dimanche, ça me ramène à moi en fait, je ne l’avais jamais vu comme ça, thérapie de l’écriture du chemin du retour du cabinet de thérapeute, elle est pas mal celle-là, donc je prends l’autre rue et alors là je cherche quoi en dire mais rien juste des maisons et des immeubles aucune façade qui ne me marque la rue du néant, la rue du vide, pas même une trottinette éventrée et au croisement le vieux tabac Senorita pour qui ? pour quoi ? je ne sais avec ce vieux monsieur qui fume encore à l’intérieur et le comptoir en formica et des magazines qui date de l’ère soviétique mais l’ère soviétique en France donc c’est moins intéressant, juste un petit coup d’attentat contre De Gaulle

Deux clients qui baragouine au comptoir, complots, complots, CAF, le jogging trop bas, et mon paquet de vogue

et je tourne dans la petite rue où les voitures circulent mal,

et chez moi

je n’ai pas envie

les sept minutes sont fines.

A propos de Léa Yasmine Djenadi

Psychologue. Métisse. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. En création d'une newsletter... (comme tout le monde, non ?)

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