Éclatement! J’ai les yeux rivés sur la courbe de la route, je maintiens le volant sur un asphalte que je sais, à cet endroit, dangereusement bombé. Mon fils a eu, ici, il y a longtemps, mais le souvenir en est encore vivace, un accident qui a failli lui coûter la vie. Je prends la courbe et stabilise la voiture. C’est terminé, plus de danger, la route entame sa pente douce et droite. Je relâche la pression de mes muscles et de mes mains sur le volant ce qui entraîne aussi un relâchement de vigilance mentale et me rend disponible à autre chose qu’à la circulation. C’est là que je pense à la consigne de l’atelier et lève les yeux pour la première fois, sur les cinq que comptera ce jour. Le ciel au dessus de moi surgit comme un mur en plein processus de fracturation, à travers lequel perce la lumière. La couche nuageuse du matin se disloque, comme brisée en milliers d’éclats par une force qu’on sent mais ne voit pas, laissant apparaître un soleil puissant, aveuglant. J’assiste à un moment suspendu. L’éclatement se déroule sur une échelle tellement vaste qu’il en paraît immobile. Les aurores boréales font le même effet: on sait qu’elles bougent mais on ne perçoit pas le déroulé du déplacement, on est juste témoin de ses phases successives. Je conduis et, de ce fait, mon attention doit revenir très vite à la route. Avant, je prends une photo. Ma perception de ce ciel n’a duré qu’un instant mais son effet est celui d’un shoot. L’immensité du monde s’est engouffrée dans ma tête et dans mes poumons.