Le 17 janvier 2022 à 20h15, Melissa Delillo qui sort comme tous les mercredi mixer au Copacabana, trouve son voisin Zozime Bouzaoui à moitié nu sur son palier, grelottant dans une chemise d’hospice civil de Lyon. Elle lui passe un peignoir marron glacé en panne de mousseline de soie, s’arrête chez les Moreau pour les prévenir, file car elle est vraiment en retard. Madame Moreau le trouve errant dans l’escalier, lui promet de revenir vite avec un repas chaud. Elle descend, croise son mari: « va vite voir dans le couloir. » Coup de sonnette concomitant. Monsieur ouvre la porte malgré l’oscillation agitée de l’index de Madame accompagnée de chuchotements précipités, grimaces grandguignolesques. Zozime débarque en nuisette : « C’est ta femme qui m’a invité à dîner» tout en s’asseyant sur une chaise de la cuisine, à bout de souffle, il frissonne, claque des dents. Tous ont noté la dégradation accélérée du retraité, montant et descendant de plus en plus difficilement les escaliers avec sa canne et son sac plastique Casino, mais il décourage toute aide en grognant, taciturne et agressif. On devine son passage par le fort fumet de son sillage, un amalgame de Caporal export, de bière, d’urine, et bien d’autres choses qui oblige à traverser la cage d’escalier en apnée. Un concours de circonstances veut qu’un autre voisin, Monsieur Jacques Titallon sonne ce soir là pour une histoire de minuterie défectueuse. Il est aussitôt sollicité pour savoir s’il n’a pas un radiateur de secours qu’on installerait chez Zozime. Malgré les réticences du vieil homme qui se fait prier mais qui ce soir rend les armes, ils ressortent avec sa clé. Sous la lumière bégayante du palier, du demi-étage du quatrième, l’étage supérieur étant occupé justement par Monsieur Titallon, son voisin direct, la petite porte rouge finit par s’ouvrir. Innocent Moreau rentre le premier suivi par Jacques Titallon qui le suit en l’éclairant du faisceau de son portable. Une odeur pestilentielle les saisit en même moment ils sentent leurs semelles collées par une surface gluante. Les crottes souillent le sol, des déchets de toutes sortes empêchent l’accès à la cuisine et ce qui pourrait être une chambre. Ils buttent sur un grabat vineux, spongieux, au milieu des cannettes, des boites de conserves, des cartons de pizzas, des papiers de banque, des lettres accumulées, des assiettes. Ils n’osent pousser plus loin leurs investigations et redescendent chez les Moreau où Zosime épluche la soupe. Cette affaire efface griefs, inimitiés. Pitié, culpabilité, honte, dégoût, phobies des rampants, les voilà tous utilisant les algorithmes de doodle pour mettre en place des repas, une chaîne solidaire, attendant la prise en charge des services sociaux. Monsieur Titallon, son voisin de palier, travaille en mairie, assiège les services d’assistance avec la régularité d’un métronome, insiste. Tous passent par des montagnes russes d’espoir et de désespoir : l’assistante sociale réclamée reçue par des griffures et des invectives, soupirs de soulagement quand on l’emmène au Vinatier, désarroi quand on revoit les ambulanciers le lâcher le lendemain, grattement aux portes de ses nouveaux amis, jusqu’à l’obtention d’une place dans un établissement et l’arrivée des déménageurs de l’extrême.
Les déménageurs de l’extrême opèrent en combinaison intégrale avec un masque. Si le confinement a rendu ces silhouettes familières, on préférerait qu’elles ne sortent pas des séries policières. Habitués aux situations les plus scabreuses, ils restent pourtant longtemps étonnés par ce tonneau là. La première semaine, il y eut la rotation successives d’une dizaine de bennes pour débarrasser le logement encombré par plus de trente ans d’accumulation compulsive, plus de dix tonnes de déchets. La deuxième semaine fut consacrée au nettoyage, aux désinfectants, aux détergents acides. Un nuage d’ammoniaque voguant dans les coursives. La troisième semaine on procéda à la dératisation.
Melissa a recroisé Zozime qui était venu chercher des affaires. Qu’a t’il pu penser devant son logement tout évidé, javellisé ? Il était content là-bas chez les vieux. On ne sait pas ce qui va advenir de l’appartement qui demeure ouvert au vent, à la pluie, les vitres cassées n’ont pas été remplacées.