#été2023 #10 | La pharmacie

Antoine Devaucelle s’assoit sur une chaise en bois. On se trouve au 1er entrepont dans la batterie. Le local placé au- dessus de l’hélice est en forme de rotonde. Il est bien éclairé et vaste. On y a installé une pharmacie. Antoine sort de sa poche une boîte plate. Elle comporte un thermomètre, des seringues à injection, des aiguilles et tous les instruments usuels. Elle est déposée sur une table mise à disposition à l’entrée de la pièce. Il se redresse de sa chaise et se lève brusquement. Il va retirer sa tunique en drap à deux rangées de boutons du modèle de l’infanterie. Elle est ornée d’épaulettes rouges à franges blanches. Son index gauche agrippe avec son pouce le premier bouton de la tunique. Il déboutonne un à un la dizaine de boutons dorés pour enlever la manche droite de sa tunique. Il extirpe son bras droit puis son bras gauche. Il ôte entièrement sa tunique et l’installe sur la chaise. Elle est lourde sur ses épaules.  Sur le col de la veste on peut voir l’insigne blanc. C’est un caducée entouré de feuilles de chêne et de laurier. On entend la respiration d’Antoine un peu oppressée. La chaleur est forte à l’extérieur. Ici un peu de fraicheur lui parvient. On peut apercevoir un grand coffret ouvert contenant différents flacons et des seringues. Des étagères ont été aménagées contre le mur. S’y trouvent ordonnés des solutions antiseptiques, des fortifiants, de l’éther, des baumes, des onguents. Toujours soulager, on cherche à soulager. Il y a aussi des thermomètres et des stéthoscopes. On cherche les signes et les symptômes les plus probants pour établir un diagnostic. Des scies affutées, des pinces et des scalpels sont rangés avec soin à part. Parfois on opère si c’est nécessaire. Parfois on ampute si la gangrène menace. Il faut, au préalable avant toute utilisation, stériliser les seringues dans les cuisines. Non loin de là on distingue les armoires à linges et à médicaments, les rangements à objets de pansements. Une multitude de fioles avoisinent une montagne de bandages et de charpie. Le souffle de l’homme ralentit apaisé. Un lit de repos est disposé pour les infirmiers. Des registres sont empilés sur un coin de table, ils servent à consigner les soins apportés aux malades. Un porte-plume est mis à disposition avec un encrier. Antoine s’allonge un instant. Il ferme les yeux et essaie de se détendre en chassant toute pensée. Son ventre se soulève avec régularité. C’est une couchette pliante de l’armée. Elle est en fer et grince un peu sous le poids de l’homme allongé. Antoine est en linge de corps. La fatigue se lit sur son visage. Il a trente ans, les chevaux bouclés coupés très courts.  Il porte une barbiche naissante et soignée. On distingue plus loin, dans un coin une seconde table destinée aux examens des patients. Elle est équipée de sangles pour les contenir au besoin. Une cuvette un peu plus loin pour le nettoyage des mains avec un broc rempli d’eau posé sur le sol. Antoine se repose seul, sa respiration se fait plus lente désormais. Ses paupières sont baissées et son visage se détend imperceptiblement. Il passe machinalement une main dans ses cheveux et ses doigts glissent. Il faut courir pour rester sur place. Si l’on ne court pas l’on est mort. 

 

A propos de Sylvie Roques

J'ai publié surtout des essais et des articles. Depuis un an, j'expérimente d'autres formats de textes et participe à des scènes ouvertes.