Le je de ce vaisseau corporel, en ce moment, lentement s’apprête à mourir — à s’évanouir, à se métamorphoser — lentement. Imposant comme une ruine rouillée de vieux cargo, il scrute des signes — vagues.
À attendre un récit — sans véritable objet, avec grande patience de prédateur — dans l’obscur affût de son immobilité rapide. Il ne bouge presque plus. Il doit s’arracher une part de lui-même au plus petit seuil à passer — à la moindre clôture-ouverture à transgresser.
Il opte pour la somnolence habitée mais inquiète dans un terrier de taupe — mal habitée, irrégulière, à l’étroit, saccadée.
L’organe vocal raréfie son office — le strict minimum de parole — et la voix, comme étirée en filet infra-mince, susurre — du fond de gorge une plainte — un récit décousu.
L’organe visuel ne calcule plus quelle direction viser — ni quoi tenir en joue.
L’impression d’être en guerre constante fuit — comme d’un tuyau micro-percé — par ses pores — ne s’accroche plus aux ronces de l’histoire — s’écoule.
Les énoncés, les postures s’effilochent — c’est une vie extérieure de basse intensité installée, insidieuse, par le truchement d’un parasite d’une énergie démente dans sa carcasse — le corps, les gestes, les vocables, l’externe priés de poursuivre vers le néant.
La pesanteur s’accentue — déplace le fléau de la balance. Il ne continue plus qu’entraîné par la force d’inertie qui suit l’avant-dernier coup de frein — au dernier, ultime freinage, viendra l’inévitable, équilibrée stabilité — définitive, puissante.
Les actions-réactions des humains qui entourent encore ce corps — terminal — s’accumulent à ses entrées — curieux en foule de bonnes intentions — ne passent qu’avec parcimonie. Il est très peu touché — très peu réussit à pénétrer son intime claustré en ses murailles-coquilles. Très peu de ces actions-réactions externes sont opératoires.
L’ensemble — la membrure, la peau palmée — est strictement lacé dans une camisole d’intensité — très strictement douce — émolliente et, le plus naturellement, dans des linges entrecroisés jaunis — très strictement puants — rebutants. Il ne s’habille plus, il se couvre.
Le vaisseau du je effondre — implose — toutes ses inscriptions sur elles-mêmes — capitule extrêmement lentement. Il se fabrique un corps sans organe. Là est le champ de forces de son seul récit.
Ouh ! C’est un choc ce texte si fort dans les sensations d’une mort toute proche ou peut-être juste après dans un de ces bardos chers aux bouddhistes. S’accompagnerait d’une musique très spectrale… pas très gai certes mais
Merci, Béatrice !
Le rapprochement bouddhiste est très instructif pour moi.
Quel texte. Je suis saisie. Bouleversée.
Merci pour votre lecture.
J’ai, moi aussi, été bouleversé en l’écrivant.
Un champ de forces, ce texte, en effet! Bravo!
Mille mercis, Élisabeth.
Deleuze et Guattari m’ont un peu aidé sur ce coup-là…
Je suis venue plusieurs fois relire avant de laisser un commentaire tant ce texte est fort, bouleversant. Une grande beauté et maîtrise de l’écriture aussi, la perspective deleuzoguattarienne est féconde, jamais plaquée. Superbe et terrible
Muriel, votre commentaire me fait grand plaisir !
La dissolution du sujet entraîne la fabrication de cette surface où s’inscrivent des intensités terribles, en effet.
Merci d’avoir pris votre temps et d’être revenue me dire ces mots.
Magnifique. Très fort et très belle écriture.
Merci, Pascale, pour votre message. Je suis très touché !
j’aurais tant aimé que ce soit mon je qui l’ai écrit
Un très grand merci pour votre lecture, Brigitte.
A la troisième lecture, je suis toujours aussi bouleversée par ce corps- vaisseau en partance. A rester sans mots … mais le silence serait ici la mort. Alors, prendre appui sur votre geste : le « je » capitule-t-il ? je n’en suis pas si sûre… Sentiment que le je qui se dissout dévoile un JE majuscule , sujet de sa parole et de son histoire. Magnifique, terrible. Votre texte imprime en moi une trace.
Oui, Déneb, le JE ferait comme un diagnostique clinique par l’écriture du je qui se métamorphose en champ de forces ?
Merci beaucoup pour votre clairvoyance et pour être revenue sur le texte !
Ce très beau texte s’apparente pour moi à une sorte de transcription d’un rêve de métamorphose dans lequel le corps de rêve fait d’énergie, celui qui préexiste au corps physique, reprend ses droits.
Vous avez raison,Huguette, il y a bel et bien deux corps. Et des puissances énergétiques à l’œuvre.
Merci pour ce commentaire très porteur !