Entré dans la maison après le mazagran, dont l’absence d’anse indisposait la pulpe des doigts, le mug a immédiatement dominé les usages. La garnison de mazagrans s’est rendue sans résistance. Dans la maison, quotidiennement, s’élevèrent alors des : — passe-moi le mug, please ! Café, thé, tisane, chocolat au lait, jus d’un fruit ou de plusieurs, eau chaude à la chinoise, parfois kéfir ou bière y prirent contenance. Bien entendu, au début, on ne devina pas que sur la surface lisse et facilement imprimable du mug, les publicitaires de toutes obédiences allaient sévir pour le pire. Que des sociétés aussi éloignées des parfums bergamote hibiscus gingembre, telles Michelin Total Porshe pour les plus idiots, allaient sur le mug exfiltrer leur image virile. Comment se douter ? Mais « tant que le récipient marque le lieu de sa présence, son impact sur les cibles dure sur le long terme. » C’est ainsi que parlent les hommes du marketing, héritiers des soldats de 1840 à Mazagran, en Algérie. Oui, la guerre est partout. Le mug siglé aussi. L’homme fabrique de l’utilitaire sans cesser de lui adjoindre plus d’utilitaire encore, rentable celui-ci. Question d’emprise, d’empire. Le monde du chiffre n’est pas prêt à la reddition, lui. Pourtant, bien avant que le mug ne soit la valeur sûre des goodies mondiaux, bien avant que les anglicismes rythment nos prises en main et bec, la grosse tasse cylindrique en céramique ou en fer blanc, on l’appelait moque, dans la région. En prenant en main une moque de cidre, le paysan ne se tenait pas comme un publicitaire devant son mug de menthe poivrée. L’index en crochet autour de l’anse, le pouce d’un côté de la tasse, face au menton, le majeur et l’annulaire de l’autre, vers le plafond, le bout de l’auriculaire s’accrochant à la bordure sans émail du fond du mug. Et le soldat, tenait-il une tasse avec soucoupe, une chope de pinte ou une gourde thermos comme un mug ? Non. Non. Le mug offre à la main qui l’empoigne l’expérience d’une gymnaste gauche, dépassée par l’événement, qui court après son équilibre, relève la tête, sourit, rate sa réception, le feu aux joues. Pas aussi fière ni virtuose que la main du pianiste, déroulant sous la lumière les merveilles contenues dans la partition, la main du mug prend cependant conscience, dans l’ombre anonyme, d’être indispensable. Du lever au coucher, elle règle vitesse et inclinaison pour faire glisser le liquide chaud sans débordement. Bien sûr, il y aurait toujours la paille, mais c’est une autre histoire… Si une main se brûle, l’autre vient automatiquement à la rescousse. Il arrive aussi que ce soit vraiment trop chaud, alors la main abandonne le mug sur le bureau, la table de chevet, la table basse du salon, à côté d’un livre ou d’une revue, d’un cahier de mots croisés, d’un journal. On finit par l’oublier, l’attention plongée dans les mots, les énigmes, les mystères du monde. L’engloutissement du mental peut être rapide, et des mugs à demi pleins, des fonds de mug, des mugs auxquels on n’a pas touché s’accumulent jusqu’à épuisement du stock. Mais où sont passés les mugs ? On fait la tournée, on se met en action de vaisselle, et il n’est pas rare que survienne la nécessité d’un bon décapage des parois intérieures, rouges de tanin. Frotter au vinaigre blanc et bicarbonate de soude, c’est radical. Dans le mug immaculé, verser une infusion de verveine fraîchement cueillie, de thym, de sauge, ou toute herbe aromatique que l’on se pique de tester en cure, pour les yeux, le foie, les bouffées de chaleur… Cette fois on s’oblige à tout boire, c’est thérapeutique, il le faut. Même à jeun. Quand l’eau colorée attaque le palais, on grimace. Par stratégie, on aura sorti le mug rouge de Chine, le préféré ou, s’il est indisponible, le jaune doré La vache qui rit ©, doux et brillant comme le regard des vaches. On entoure le mug des deux mains. On souffle dessus. On inspire. La chaleur pulse sous la pulpe des doigts.
Codicille : j'ai repris mon texte pour lui donner plus de vie, enlever le ton "Histoires de tonton Pierre". Besoin de ses allers et retours sur les mots, virgules, virer les pelletées de "et, car, comme". Je ne sais pas faire du premier coup. Chaque fois que je relis, je modifie. Là, j'arrête pour aujourd'hui (1h30), en espérant que c'est mieux, ce qui n'est pas toujours le cas. Je laisse pour info la première publication et si vous avez des remarques, elles sont très bienvenues. J'aime les professeurs qui soulignent et commentent :-)
Il est entré dans la maison après le mazagran en porcelaine, passé de mode, et dont l’absence d’anse gênait les doigts à la pulpe délicate. Lorsque le mug a pris place, la garnison de mazagrans n’a pas résisté longtemps. Rapidement, la maison en fut pleine, et tout au long de la journée, on n’a plus entendu que —« tu me passes mon mug, là, s’il te plaît ! » Le café, le thé, la tisane, le chocolat au lait, le jus d’un fruit ou de plusieurs, parfois même le kéfir ou la bière y prenaient contenance. Bien entendu, au début, on ne devinait pas que sur la surface lisse et facilement imprimable du mug, les publicitaires de toutes obédiences allaient sévir pour le pire. Que des sociétés aussi éloignées des notes bergamote hibiscus gingembre, telles Michelin Total Porshe pour ne citer que les plus idiots, allaient exfiltrer leur image sur mug virile. Mais « tant que le récipient marque le lieu de sa présence, son impact sur les cibles dure sur le long terme. » C’est ainsi que l’on parle dans le marketing, du ton guerrier qui prévalait en 1840 dans la garnison française victorieuse de Mazagran, en Algérie. Oui, la guerre est partout. Le mug siglé aussi, car il faut à l’homme fabriquer de l’utilitaire sans jamais cesser de lui adjoindre plus d’utilitaire encore, rentable celui-ci. Question d’emprise, d’empire. Le monde du chiffre n’est pas prêt au renoncement, il n’a pas intérêt à la matière brute, à la vie libre de logos et d’images. Pourtant, bien avant que le mug ne soit la valeur sûre des goodies mondiaux, bien avant que les anglicismes rythment nos prises en main et bec, la grosse tasse cylindrique en céramique ou en fer blanc, on l’appelait une moque, dans la région. En prenant une moque de cidre, le paysan ne se tenait sûrement pas comme un soldat, pas non plus comme aujourd’hui on se tient devant un mug de tisane à la menthe poivrée. L’index en crochet autour de l’anse, le pouce d’un côté du corps de la tasse, face au menton, le majeur et l’annulaire de l’autre côté, vers le plafond, et le bout de l’auriculaire s’accrochant au bord du fond du mug. Ce geste n’est pas celui de la main, paysan ou soldat, qui tiendrait une petite tasse de café ou de thé avec soucoupe, une chope de pinte ou une gourde thermos. Non. Le mug offre à la main qui l’empoigne l’enchaînement unique d’une gymnaste débutante, sérieuse, précise, mais un peu gauche, un peu dépassée par l’événement, qui rajuste régulièrement son équilibre, relève la tête, sourit après une réception écrasée, bruyante, le feu aux joues. Pas aussi virtuose que la main du pianiste, certes, qui redonne en pleine lumière les merveilles contenues dans la partition, la main du mug prend cependant conscience, dans l’anonymat, dans l’ombre parfois, d’être l’agent indispensable, l’artiste qui fera glisser le liquide chaud jusqu’aux papilles. Bien sûr, il y a toujours la paille, mais c’est une autre histoire… Si une main se brûle, l’autre vient automatiquement à la rescousse. Mais il arrive que ce soit vraiment trop chaud, alors le mug traîne sur le bureau, la table de chevet, la table basse du salon, à côté d’un livre ou d’une revue, d’un cahier de mots croisés, du journal. On finit par l’oublier, l’attention plongée dans les mots, les énigmes, les mystères du monde, si bien que des mugs à demi pleins, des fonds de mug, des mugs auxquels on a pas touché s’accumulent un peu partout, et on en arrive à ne plus avoir de mug propre. Mais où sont passés les mugs ? Alors on fait la tournée, on se met en action de vaisselle, et il n’est pas rare que survienne la nécessité d’un bon décapage des parois intérieures, rouges de tanin. Frotter au vinaigre blanc et bicarbonate de soude, c’est radical ! Dans ce mug immaculé, verser une infusion de verveine fraîchement cueillie, de thym, de sauge, ou de tout herbe aromatique que l’on se pique de tester en cure, pour les yeux, le foie, les bouffées de chaleur… Cette fois-là, on s’oblige à tout boire, car c’est thérapeutique, il le faut, même à jeun, quand le goût rudoie le palais. Pour la parade, on aura sorti le mug rouge de Chine, le préféré ou, s’il est indisponible, le jaune doré à tête rouge La vache qui rit ©, cela encourage un peu. On entoure le mug des deux mains, on souffle dessus, on respire, on se réveille avec sa chaleur sur la pulpe fine des doigts.
On mug de plaisir ! Et quelle meilleure motivation ! Merci pour cette déambulation, une boisson à la main,
Merci, Catherine ! Tu guettais, dis-donc. Je venais juste de le corriger lorsque j’ai reçu ton commentaire. Très touchée par ton passage. À bientôt chez ton objet 🙂
Sacré collection de mug, bravo.
Merci Laurent ! 🙂
les mugs qui traînent partout de ma fille me manquent ; parfois avec un sachet desséché, parfois n’ayant servi que pour de l’eau chaude à la chinoise. Nostalgie.
ha bon sang, j’ai oublié l’eau chaude à la chinoise, que j’ai pratiqué un temps avec un jus de citron. Merci, Danièle, de me le rappeler.
🙂
Si bien enlevés ces mugs! C’est très chouette. Bien et vite fait! Ça va me mettre en route, merci Isabelle.
Merci pour l’évocation du mazagran, dont j’hésitais à faire mon objet. Ce serait intéressant de voir comment nos textes se répondent ! Il est présent dans une photo de ma proposition P7 : https://www.tierslivre.net/ateliers/p7-antonia-prononcer-paresseusement-la-derniere-syllabe-en-dierese-comme-sil-y-avait-deux-l-entre-le-i-et-le-a/
Tout à l’heure, pendant le zoom, je vais me cacher quand je vais porter mon mug à ma bouche et penser irrésistiblement à toi !!
Beau morceau de bravoure…
(au fait, je ne sais pas vraiment la différence entre mug et mazagran, pour moi c’est un peu la même chose !)
Pour moi, la version corrigée est vraiment bien.
Plus forte, plus efficace !
Bravo pour cette délicate déambulation, le mug ou l’accompagnateur des jours, des pensées, antidote de la neurasthénie…
Ce texte agile, en mug recueillant café, thé, tisanes, offrandes pour soi, fera écho à tant de quotidiens, tant de mains…
J’aime beaucoup le tressage entre les images très concrètes et les ouvertures sur l’Histoire. Lu avec grand plaisir.
On marche avec ces mugs!
Et de se précipiter pour les refaire beaux avec le mélange de bicarbonate et de vinaigre qui mousse…
Santé Isabelle ! puisque le mug se prête aussi à l’apéro ! Le texte dit l’objet mais aussi le geste et la posture et ça en dit beaucoup sur les usages et sur les utilisateurs. Et dorénavant, je ne ferai plus la vaisselle, je me mettrai en action de vaisselle ^_^ Bravo !
Mais où sont passés les mugs ? Merci pour ce voyage à travers l’espace et le temps avec cet objet du quotidien qui accompagne nos errances domestiques. Un régal.