je me noie
glisse pisse le mot pisser glycine glisser piscine le mot glisse dans la glycine
pisse dans la piscine qui déborde l’eau déborde les mots jaillissent les mots
la submergent et les lettres s’écrivent en hiéroglyphes pourpres à l’intérieur
noir de mes paupières fermées et immobiles sur de vagues vaguelettes vaguement
semblables à la surface d’un bassin d’où je coule avec elle et les mots puisés
épuisés essoufflés dans sa bouche embrassée brassée de mots brassés embarrassés
jetés sur le papier je rouvre les yeux et d’un léger battement de cils je reviens
au jour la laissant elle dans sa nuit qui n’en fut pas une
je me demande la force qu’il lui a fallu pour sortir de la chambre franchir la
porte je me demande comment je ne me suis pas effondrée là sur le sol à côté
d’elle alors qu’elle se levait de sa chaise dont les quatre pieds marquaient de
leur empreinte le linoléum elle a avancé un pied devant l’autre réapprenant
soudain me réapprenant à marcher
pourtant elle se lève de ma chaise la repousse d’un coup mat derrière moi
immobile je ne bouge pas il faut que je parte et que je me détache du corps
mort horizontal c’est elle qui marche et le grincement de ses semelles me
ramène à la réalité silencieuse de deux corps séparés mais qui ne l’ont pas
toujours été séparés quand nos deux corps allongés lui dessus et moi dessous à
moins que ça ne soit l’inverse qui s’écrive moi dessus et lui dessous mais l’on
ne sait plus bien comment le ciel s’écrit dans une trouée de verdure danse les
ombres et se soustrait soudain au regard
ils auraient pu rester allongés enlacés endormis à même le sol et depuis que
l’idée s’est manifestée sur le papier aux latitudes Nord : 45,384702 et
Est : 5,254724 à une altitude de 348,01 mètres je connais les
orientations extrêmes perpendiculaires à la rue le Détroit de Béring d’un côté
et la Lusitanie de l’autre
une dernière fois elle se retourne glisse le long de la paroi utérine descend à
pic et sans rappel franchit naturellement le col une nuit un peu avant l’aube
au tournant de l’hiver touche enfin terre et elle s’encorde au frère et aux
sœurs puis s’applique à défaire des nœuds nouer des amitiés briser des cœurs
peut-être je lis L’Amant et dans la
foulée l’œuvre intégrale de Marguerite Duras elle devient femme entre les
lignes et écarte les cuisses enfante accouche de mots de cris et d’enfants de
nouveau ânonne les tables de multiplication rabâche les conjugaisons et se perd
je l’aide en vain à retrouver la lumière de ce jour de juin annonciatrice de
l’été et de la mort elle pose sa bouche sur le marbre d’un bras embrasse des
lèvres tues je vis à travers elle son absence apprécie la mélancolie de l’hiver
ne goûte pas la verdeur effrontée du printemps danse nue sous la pluie d’été et
marque la neige vierge de mes mots
Beaucoup aimé ce texte, sa beauté, la sensation de submersion, le tissage de passages d’anciens textes… Très touchée par le dédoublement elle/je dans le mouvement de l’adieu.
Merci Muriel pour votre lecture attentive et vos retours