Certains après-midis après la pluie le ciel se dégage d’un coup et c’est ruée sur le bitume sans lever le nez en l’air dans l’odeur toujours reconnaissable et un brin agressive des sols brûlants mouillés comme transpirants et des troènes en fleurs qui annoncent cette période transitoire d’avant les grandes vacances lorsque l’école n’est plus vraiment qu’une immense cour de récréation où s’ébattre en attendant des espaces plus vastes encore à découvrir et l’on se précipite donc dehors profitant de l’éclaircie et des pauses à rallonge tandis que les maîtresses se regroupent dans un coin du préau pour se griller une cigarette blonde nous surveillant d’un œil distrait car après tout si l’on a tenu l’année jusque-là il ne peut plus rien arriver de grave : elles ignorent vers quoi je cours le nez au ras du goudron, penché, c’est une flaque, une flaque immense, une flaque dans laquelle selon le côté où je me place, je vois le ciel, les nuages qui y courent, les oiseaux qui la traversent, comme un éclat de bleu tombé au sol, plus qu’un miroir, un miracle, une ouverture, et je rêve que sautant à pieds joints selon l’angle exact qu’il faudrait je pourrais passer dans ce monde inversé, y découvrir d’autres possibles, m’y trouver une place précise, un rôle, une raison d’être alors qu’ici, hein, ici ce n’est pas vraiment ça, et si je tourne un peu autour de la flaque, j’y vois la cime des arbres, ça bruisse légèrement, chaque feuille dessinée aussi précisément que possible et je me dis qu’un jour, penché là, je verrai son visage apparaître se penchant aussi, près de moi, regardant ce que je regarde, cherchant à comprendre ce qui me fascine, et que nous nous verrons là, côte à côte, souriant, et que le sol nous dira que ça y est, nous sommes ensemble et que de cet autre côté des choses ce sera pour toujours sans qu’ici nous n’ayons rien à nous dire, parce qu’ici, quelle chance j’ai qu’elle me prenne la main mais, pour l’instant, c’est ailleurs qu’elle est, près des balançoires, avec d’autres qui la font rire, alors je n’ai qu’à attendre en regardant une feuille tomber, déjà, et se poser simultanément des deux côtés de l’eau qui, demain, sera toujours là, seule sur le bitume sec, collée au sol, et personne ne verra les merveilles qu’il aura fallu pour que disparaissent nos doubles dans les profondeurs et ce bonheur indicible qu’ils vivent ailleurs.
merci de nous rendre ainsi la flaque et le monde qu’elle contient
Merci d’y avoir plongé.
La flaque où le monde se renverse bien sûr ! et personne d’autre n’y avait pensé !
C’est mon plaisir à détourner légèrement les consignes, toujours, qui m’y a amené…
ça me plairait bien moi un inventaire imprécis des bonheurs indicibles et merveilles des doubles en leurs ailleurs !
Il faut l’écrire.
Prendre sa main et sauter dans la flaque ! Oui !
Plouf ! Splash ! Quand cesse-t-on de rire en sautant dans les flaques ?
Rétroliens : De l’usage du moteur de recherche – Tiers Livre, les ateliers en ligne
Sensation d’un Alice aux pays des merveilles, soulignant à peine ce risque à prendre ! Merci Sébastien Bailly.
Merci.