C’était peut-être une fois par mois, encore moins l’hiver, s’extraire de la boue du jour des pluies malédiction en continu, des cris malédiction en continu, des blessures avec les outils, le tranchant avec les mots, d’un coup la lumière en pleine vitre tout le souvenir, pouvoir s’extraire de l’ombre des sillons, l’ombre du corps creusée dans la terre, effluves animales qui devenaient les nôtres qu’on soit penchés accroupis étalés dans la terre, il était soudain possible de voir le jour, le premier samedi du mois, nous rentrions à cinq dans la 4L, la fête dans la fumée gitane maïs ça faisait crapoter la voiture, tous à l’intérieur dans la fumée, pour une fois c’était permis pour le pépé de fumer à l’intérieur, puisqu’on y allait tous, à la foire de Châteauneuf-du Faou, sans le cheval qui ramenait bourré de la fête de la Saint-Jean, assommé dans la charrette, le cheval le ramenait, et ce matin nous y allions, à la foire au marché les étals des maraîchers, les blouses et la senteur, les jonquilles citrons pressés, quelques pensées pour le cimetière, on pouvait acheter des oranges, et ces oranges c’était tout un paysage de soleil qui giclait sous la langue, nous gardions un quartier d’agrume contre le palais, laissant le jus doucement s’étendre comme une plage dans la gorge, le pur délice fondait de longues minutes durant quand on reprenait le travail après vingt heures, qu’il fallait éplucher dans la nuit jusque tard, éplucher les sons de la télévision, les petites histoires chuchotées, éplucher la nuit l’envie de partir, et tout garder dans la tête.