#LVME|09# Vendredi matin : passation

Le vendredi matin vers 11 heures, les talons de Miranda claquent dans les escaliers de la traboule accompagnant une conversation téléphonique ininterrompue. Elle file nettoyer les appartements de Valérie Pasquier. Jour de grand ménage entre deux passations. Les locataires de la semaine ont pliés bagages souvent plus tôt que l’horaire limite et ceux du week-end n’arriveront pas avant le milieu de l’après midi. La clé n’est plus dans la cachette, Babeth est sans doute déjà sur place pour lancer les machines et préparer les couchages. Comme elle habite l’immeuble, c’est souvent la première arrivée. Les écouteurs dans les oreilles, Miranda poursuit en kosovar sa discussion tout en troquant ses souliers pour des chaussons. Sa main aux ongles soigneusement vernis attrape l’aspirateur et passe sa trompe dans la grande pièce. Deux canapés en angle droit tournés vers les grandes fenêtres qui s’ouvrent sur les toits de la ville, les grues, voire les montagnes quand le temps s’y prête. Les murs colorés sont ornés de photos exotiques, un train au Pérou avec des pauvres colorés et dignes, un berger près d’une yourte, un barbier grec. Une bibliothèque avec quelques livres de photos et de récits de voyages, une corbeille sur la table avec les restaurants incontournables et les must et les place to be, des téléramas. Sur une commode, le mode d’emploi de la maison et les mots de passe de la box. Pendant qu’elle passe avec son chiffon sur la table de la salle, secoue les coussins dégonflés, Miranda salue Babeth qui apparaît du sous sol avec une pile de draps puis qui redescend dans les chambres, renifle les draps, si ça vaut le coup de tout changer, attrape une nouvelle housse, disparaît dedans pour récupérer les deux extrémités de la couette. Elle file relancer une machine de serviettes sur un programme rapide. Les occupants de la semaine ont à peine touché la cuisine, sans doute des collègues de travail en déplacement pour un congrès. Dans ces cas là, tout se passe dehors, ils ne prennent qu’un petit déjeuner, un café. On retrouve une bouteille de lait entamé dans le frigo et près du lit une bouteille d’eau gazeuse pour se remettre des soirée arrosées. Rien à voir avec les ménages du dimanche soir. Là, les bouteilles s’accumulent, des masses de citrons verts, des paquets de chips, des sauces barbecue, des sauces vegan et des cartons de pizza. Passer après eux, revient au jeu des devinettes, à relever les traces dans le frigidaire, dans les poubelles, les ticket de caisse, étiquettes coupées, produits de beauté oubliés, collants. C’est l’heure de la pause, Miranda lui tend une cigarette Kosovar. Elles sortent avec un café dans le petit jardin. Les enfants, ça va ? la Maman ? Et le petit ? On regarde les photos sur le portable, on fait des gestes pour se faire comprendre et puis on se demande toujours où se trouve Valérie Pasquier, la patronne. Car Valérie Pasquier est insaisissable depuis qu’elle jongle avec toutes les réservations du petit et grand appartement, toujours en transit avec ses enfants et la valise à roulettes et des sacs de linges propres ou sales, toujours en mouvement. Quand elle revient dans sa maison, c’est un peu comme si elle arrivait en vacances chez elle, une semaine chez elle sans valise. Au début, c’était un peu difficile cette vie nomade, surtout de penser à tous ces corps qui dorment dans votre chambre, qui se lavent dans votre douche, qui ouvrent les placards de votre cuisine et sortent vos assiettes, vos verres, il ne faut pas être comme les parents ours de Boucle d’or. Non, il faut même verrouiller un circuit du cerveau et de toute façon , elle n’aime pas du tout les contres, Valérie Pasquier.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.

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