L’Orient pour horizon
Un paquebot – son nom Pierre Loti – le port de Marseille les quais les grues la famille sur le quai mouchoirs et chapeaux agités le jeune couple monte la passerelle c’est le départ vers l’ailleurs – Henri si jeune cheveux ébouriffés par le mistral accoudé au bastingage – elle blottie contre lui elle rit de son nom Navarro navis navire – lui se vit aventurier là-bas il fera fortune — lenteur cris des goélands tempête traversée fêtes – passage de l’Équateur une ligne imaginaire mais une cérémonie le baptême par Neptune inquiétude excitation rires – lenteur attente les côtes africaines mystère – l’Océan Indien des coraux des poissons-clowns des tortues des dauphins curieux – à l’horizon il devine une terre secrète inconnue – il murmure avec Cendrars : Îles couvertes de végétations Îles tapies comme des jaguars – l’île rouge Madagascar enfin se montre – il déclame : Je lance mes chaussures par dessus bord car je voudrais bien aller jusqu’à vous – Madagascar je te vouvoie ! – le port bruyant des portefaix en guenilles amas de marchandises les blancs vêtus de blanc casque colonial vissé sur le crâne des enfants nus nagent dans les eaux sales du bassin des pirogues glissent – c’est l’accostage une odeur sauvage et la chaleur qui monte du sol qui descend du ciel qui l’enveloppe le surprend – un malgache sans âge cheveux et sourcils blancs sous chapeau de paille sourire lumineux les accueille le taxi-brousse les attend – une ville étonnante trop vite traversée pour la comprendre tant de misère tant de beauté – inaccessible – la piste rouge poussière latérite sur son visage ses mains ses vêtements – sous les palmiers des cahutes au toit de chaume des puits autour des femmes qui bavardent langue inconnue étrange – irréalité – il est perdu – dans la campagne Baobabs, Baobabs, baobabs, plaine à baobabs ceux que chante Michaux il les fait siens – montée vers le plateau Fianarantsoa au loin – plus tard familier d’elle il l’appellera Fiana – une maison longue bordée de vérandas un jardin odeur de frangipane un caméléon des jardiniers paisibles des fauteuils d’osier sous le flamboyant un chien jaune craintif odeur de café de cannelle des lantanas plus loin la cabane des domestiques – sur une photo leurs trois jeunes enfants et derrière eux la nounou malgache attentive – lui doux pour ses enfants autoritaire pour les gens de la maisonnée eux les indigènes – souvenirs lointains de ses propos colonialistes il se décrit civilisateur meneur d’hommes contraint de faire suer le burnous ils sont si nonchalants des enfants – souvenir mien Nour, 1947 le récit-choral de Raharimanana les émeutes anticoloniales de 1947 à Madagascar le massacre de dizaines de milliers de Malgaches par l’armée française l’histoire d’amour pour une terre et une femme victimes de ce carnage – il est rentré en France avant l’indépendance de Madagascar en 1960 – il avait fait fortune – les Surf quatre frères et deux sœurs malgaches en ces années-là m’ont fait danser, oui, oui, Si j’avais un marteau je bâtirai… – il est mort quelques années plus tard de trop de mondanités arrosées de Whisky –