Le geste se répète sous la lumière crue des néons dont l’un clignote et bourdonne en continu. Le bruit de ses pas, des objets qu’elle repose après avoir passé le chiffon. Ne pas laisser de trace de son passage. Vider les corbeilles à papier, se baisser sans faire de faux mouvements, faire attention aux douleurs. Passer l’aspirateur sous les bureaux, remettre les chaises à leur place. Nettoyer les toilettes, encore vider des poubelles, balayer toutes traces sur les miroirs… Elle s’observe pendant un instant d’éternité, un instant de tristesse. Elle voit le teint gris, les yeux tristes, les rides au coin de la bouche comme deux griffes creusées profondément. La main qui tient le chiffon a la peau épaisse, rugueuse, les ongles courts mal coupés. De petites entailles sur la pulpe du pouce, marques laissées par le couteau quand elle cuisine. Derrière elle, un carrelage gris, anonyme, les portes marron de chaque toilette fermée. Elle imagine cet endroit le jour. Une femme passe devant elle, elle ferme une porte marron, une autre se lave les mains à côté d’elle, puis elle s’approche du miroir, vérifie des cheveux, le trait de crayon bien en place, du petit doigt efface le rouge débordant à la commissure de ses lèvres. Son image revient aussi brusquement qu’une gifle. Elle s’éloigne des lavabos. Les yeux tristes balaient la pièce. Le groom de la porte ralentit la fermeture de la porte. On entend le bourdonnement du néon clignotant.
Forte présence du personnage et description très cinématographique de la scène avec une envolée furtive vers l’imaginaire de cette femme bien amenée… j’apprécie votre texte …
On (enfin je) pense au film de Murnau « le dernier des hommes » ( et aussi à Ariane Ascaride dans des bureaux avant six heures du matin)…
Merci Claudine, Merci Piero. Je la voyais aussi en l’écrivant.