D’abord des mains. Petites. Accrochées aux barreaux de la rampe. Se hisser à la force de ces mains-là, de ces muscles rachitiques, monter, monter. Les pieds suivront. Puis il faudra lâcher la rambarde, celle que le grand-père appelle ‘main courante’. D’ailleurs, on courra. On courra en montant, on courra en descendant. Il s’agit d’un escalier de vie. Se hisser, ne pas se laisser aller, ne pas tomber, jamais. Jamais tombé. En tout cas, aucun souvenir de chute. On courra, on sautera, on évitera. La vieille dame s’effacera pour laisser passer cette force en mouvement, la vitalité de l’enfance, la puissance de l’adolescence, la détermination des dix-huit années d’habitude. On connaîtra tout de la marche qui craque sous le pas alourdi par le panier ou le cartable, par le seau de charbon, épaule basse, yeux rivés vers le haut, tout en haut. On saura qui vient, on reconnaîtra le pas du voisin du dessus, de la voisine du dessous, du père qu’on attend, de la mère qui se hâte. Sens aguerris. On modifiera le pas dès les premiers talons plus hauts, on retiendra la robe trop longue, comme une traîne à la descente, comme une gêne à la montée. La plante des pieds se souviendra longtemps de cet escalier là, celui des premières années, celui dans lequel on se réfugiera puis qu’on fuira.