transversales #06 | à travers la vitre d’un jardin de juin et fait matin– d’un trait

C’est traverser le jardin et entrer dans le parallélépipède de verre. Beaucoup d’oiseaux et on ne sait pas vraiment d’où proviennent leurs sons. Les vitres avec leurs impressions opaques (pluies et vents fossiles) se colorent aux premiers rayons du matin, elles attrapent les verts du jardin. Devant moi quelques découpes d’azur entre les feuilles. À droite le ciel se voit en plus grand : un nuage mou et du parme. 
Lundi 5H45 il y a trois quart d’heure que je suis levée; le thé avait un gout de noir, les fraises rugueuses, bien rouges, la pulpe d’une langue. J’emportais une phrase tombée du lit, sans rapport avec le sujet (je le crois au moment où j’écris) que j’allais devoir affronter pour garder le rythme de l’atelier. Tapée, la phrase du lit devient fade, l’élan qu’elle semblait susciter retombe: figée elle meurt. Cependant la question n’est pas là. Tu t’es levée pour autre chose. La question est: pourquoi suis-je sans question? Et tellement effrayée à l’idée de devoir en poser une? Si ne venait aucune question? C’est un risque (— À l’école souviens toi, tu étais la première à lever le doigt—Oui, pour le geste et me mettre en mouvement et rompre la monotonie du corps contraint à l’immobilité de la chaise). Mettre en mouvement n’est-ce pas la fonction première de la question? C’est ça l’élan? Et aller sans pourquoi? (ce qui touche au cœur comme un caillou ne présuppose pas de pourquoi. Tu ne crois pas?)
Ici, à l’instant, est-ce un coucou ou le roucoulement d’une tourterelle ? Les deux probablement. Les pies, je trouve, font un bruit de crécelle; ici je n’ai pas vu de pies; hier à midi un milan planait comme un grand cerf-volant sans fil. Il portait peut-être une bague ce milan? Un milan bagué, qui sait? (— Encore une de tes digressions? Prendre la tangente. Te dérober. T’échapper. Pourquoi? Échapper à quoi ?). Est-ce que ce n’est pas cela aussi ecrire, faire des pas de côtés?
Il est 5H52 et je dois répondre à la question « de la question » avec en appui un texte de Perec: saut à l’élastique ou saut à la perche? Entre deux chutes laquelle choisir? Ne choisis pas. Saute! (un point d’exclamation c’est pas mal aussi quelques fois. Non?)
5H57 – Pourquoi emprunter la proposition « transversale » de d’atelier au risque de l’asphyxie ? Ai-je quitté les bords de la Loire pour retourner crever dans ses sables mouvants? Serait-ce le côté petite soldate?  ( interrogatoire, torture : lui l’avait subie la Question. Il aurait du se jeter par la fenêtre. Une fenêtre verrouillée). Une fenêtre verrouillée permit-elle que tu existes? (Le roman familial et son petit confort d’explication… Une dérobade supplémentaire? Ou un solide point de départ?). L’autre jour il avait été question de ça: de l’intime et de la fiction. Remémoration et/ou invention? Advenu, imaginé? Documenté, rêvé. Affabulé. Auto-fiction ou conte? Moi quand c’est trop théorique je me fais toute petite derrière l’écran, me sens pas légitime. Est-ce que tu navigues à vue?… (tiens dans Perec j’entends père, petit père même: « père-petit-père viens me secourrir! « ) Autofiction? Flux de conscience? Ecriture automatique? Et peindre une pomme vous avez essayé?
8H14 Là c’est le moment ou jamais de revenir au texte de Perec. Les trilles d’un l’oiseau égayent le jour mat. C’est ici et maintenant avec un ordinateur, sans chaussures, ni cigarettes et les fesses calées dans un fauteuil de bureau ergonomique ( ça te change de ta chaise non?) Perec écrit: Quelle est la bonne question, celle qui me permettra de vraiment répondre, de vraiment me répondre? Qui suis-je? Que suis-je? Où en suis-je? Puis-je mesurer quelque chemin parcouru? Ai-je rempli quelques-uns des buts que je m’étais fixés, si vraiment je me suis un jour fixé des buts? »… « Au départ, tout semble simple: je voulais écrire, et j’ai écrit. »
Au début ça s’est imposé comme une solution pour tenir. Oui « L’écriture me protège »: L’écriture comme une pensée magique? Se raconter des histoires pour dormir et pour tenir debout ( comme marcher, mâcher, malaxer, mesurer…). C’est devenu indispensable et aussi de plus en plus compliqué. C’était là comme un caillou qui te regarde et qui a faim. Que tu as ramassé sans le toucher. ( j’aurais bien fait poétesse et finalement je bricole des petites histoires… )
8H34 C’est un fait que j’écris tous les matins trois ou quatre heures et parfois (c’est rare) pas. Suis-je pour autant devenue écrivain(e)? Un peu plus lectrice peut-être. Est-ce que je cherche par l’écriture à savoir où j’en suis? Qui je suis? À débonder ma vie, mes peurs? Ai-je une vision?
Et s’il s’agissait seulement d’entendre l’histoire d’une phrase tombée du lit? Ecrire comme tirer un fil? Aller dans la nuit d’une forêt et délier des images?Rendre parole au caillou qui préfère se taire? Parler à sa place ? Et le monde ? Que fais-tu du Monde? Que fais-tu de l’Histoire? Resteras-tu dans cet hors champ? Hors du temps?

Y aller matin, se fixer la consigne d'un premier et seul matin. Aurais-je le courage de ne pas y retourner? de ne pas augmenter le texte? de ne pas le transformer? 

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

14 commentaires à propos de “transversales #06 | à travers la vitre d’un jardin de juin et fait matin– d’un trait”

  1. Bravo, il fallait affronter cet exercice, moi j’ai fait demi-tour. Tu le fais avec tes doutes, quelques certitudes, trop peu. Alors si tu dois reprendre ce texte, s’il te plait, ajoute des certitudes, évoque ton talent pour raconter, la facilité avec laquelle tu mets de l’émotion dans tes lignes et l’élégance avec laquelle tu habilles tes phrases.

  2. Nathalie, ton beau texte éclaire quelque chose. Il donne audace, congédie le trop facile  » trop dur pour moi ». La phrase de François « et plus jamais des jamais on n’utilisera sans auto-réflexivité ce signe si élémentaire de notre vocabulaire diacritique » me donnait raison. Nébuleux. Pas assez cultivée pour comprendre, pas assez quoi ? Les questions affleurent. Merci.
    Suivre une phrase tombée du lit, écrire comme faire des pas de côté… Merci

    • « et plus jamais des jamais on n’utilisera sans auto-réflexivité ce signe si élémentaire de notre vocabulaire diacritique” … ça marche totalement hier et ce matin en allant sur le chantier personnel les (?) je les lisais en creux, j’en ressentais l’empreinte (?) j’ai repensé ce matin à la proposition #17 de Outils du roman « qui sera une sorte de détermination négative, par accumulation » Ces propositions, de François, qui deviennent des outils incroyables. Merci Anne de ta lecture

  3. coucou Nathalie, j’avais lu ton texte (bien sûr, c’était le premier) sans le commenter. Je n’arivais pas à le commenter car je cherchais la petite phrase du début, je n’avais que ça en tête : pourquoi ne la donne-t-elle pas ? J’ai yellement besoin de comprendre que cela me gêne souvent pour sentir et lâcher-prise, laisser faire. Merci de ton texte qui me fait mieux comprendre une de mes limites.

    • Merci Danièle (coucou !)
      cette phrase impérieuse ce matin là, une fois retranscrite, aura perdu son enchantement. Si charme il y a, c’est celui d’avoir impulsé l’énergie d’écrire la 6 transversale en sautant dedans sans trop réfléchir ( je préfère l’oublier cette phrase me reste en tête : mort et visage…)

  4. (ce lever tôt…) (tous les matins – ou certains seulement – je me souviens de la nuit de samedi à dimanche dernier : on rentrait par l’autoroute de deux à quatre – la lumière des phares et celle de ceux d’en face – et le bruit et le vent et au fond de l’image l’odeur d’essence – le noir et le vert si foncé dépris du jaune des phares – et cette idée de manquer un matin – je me suis levé à 9) (mais c’était tellement beau aussi) (bien à toi – et merci pour tout)

    • Merci du passage Piero. Oui c’est beau une route la nuit (voir le texte film de Line en #8 et le nuit et la nuit) et le bruit du vent ( quelle chanson)

  5. « Rendre parole au caillou qui préfère se taire ». Cette affirmation s’impose. Elle n’est pas hors du temps, hors de l’Histoire. Au contraire, l’Histoire à présent nous l’impose. Merci Nathalie pour votre texte qui, lui, insuffle: il est libératoire, laboratoire libérateur. Merci, merci, merci.