C’est vraiment une très petite fille. Elle doit avoir six ou sept ans, mais format cinq plutôt. Elle court le long de la rue, je la vois passer le matin, devant ma boutique ; elle s’arrête au coin, elle attend sa copine, et les voilà reparties toute les deux en courant. Elle ne sont pas en retard, non, c’est comme ça qu’elles se déplacent, c’est tout. Mon fils faisait pareil. Il sortait de la boutique comme un boulet de canon, tournait raide à gauche et en route vers l’école. La même que celle de ces fillettes, sans doute. L’autre est bien plus grande, bien plus dodue aussi, et brune avec une tignasse bouclée. La petite – je ne sais pas son nom – elle est blonde, avec des cheveux courts. Sa famille habite quelque part dans cette rue depuis sa naissance, je les ai toujours vus passer par là. Elle est assez grande maintenant pour qu’on l’envoie faire les courses. Je la vois arriver avec son pot à lait et sa demande polie : un litre s’il vous plaît madame et deux yaourts s’il vous plaît madame. Elle serre ses sous dans sa main, me les tend et recompte la monnaie, sans doute pour me prouver qu’elle sait compter.
Ils lui ont donné un drôle de prénom. Amélie. J’ai entendu sa mère le hurler dans la rue l’autre jour, quand elle a eu peur que la môme déboule sur la chaussée. Elle est pourtant toujours prudente, mais les mères… tout de même, c’était désagréable, ce hurlement. Ça n’a pas eu l’air d’impressionner la gamine. Elle a pris un petit air dégagé, le nez vers le ciel, elle m’a regardé comme pour me dire ne vous inquiétez pas, je sais comment m’y prendre, et puis elle est partie, cinq mètres devant sa mère qui voulait pourtant qu’elle l’attende. Ils me donnent leurs chaussures à réparer et le cartable de la gamine quand ça craque sous le poids des livres. J’ai reconnu la mère. Ils n’ont pas l’air de rouler sur l’or, mais la petite est toujours habillée correctement. On dirait des vêtements faits maison.
Amélie, c’est ma copine. Enfin, nos mères ont décidé ça, un jour de réunion des parents à l’école. Puisqu’elles prennent le même chemin, autant qu’elles le prennent ensemble. Alors, on s’attend au coin de sa rue, devant la crèmerie, et on y va ensemble. Le soir pareil : on s’attend à la sortie de l’école et on rentre, ensemble jusqu’à la crèmerie. Puis moi je file tout droit, elle, elle tourne dans sa rue. Des fois, elle vient chez moi, quand sa mère a demandé à la mienne de la garder un peu. Cette année, on n’est plus dans la même classe. Ça ne fait rien, c’est pareil. Elle, elle est avec Madame Leferrier, Moi, avec Monsieur Peyrade. J’aime bien avoir un maître. J’ai dit à Amélie que c’était chouette avec lui : elle a l’air un peu jalouse.