C’est un corps de petite fille. Dix ans tout au plus. Posé là, parmi d’autres petits corps à peu près du même âge. Une scène de salle des fêtes du coin, rangée de petits corps faisant face à des spectateurs d’un jour installés sur des chaises pliantes en plastique qu’on rangera dans la remise dans deux heures, sur un fond de tohu-bohu de buvette éphémère. Un visage de petite fille maquillé. Rouge à lèvres vif. Poudre de fond de teint. Chignon douloureux. Odeur de laque presque asphyxiante. Pas de miroir, son corps à la merci des maquilleuses peu expérimentées d’un soir qui appliquent, sans même y penser, le masque de leurs désirs de femmes sur ces visages de pales petites pucelles. Jetés en pâture dans des justaucorps qui laissent apparaître des pubertés naissantes et inégales, les corps s’animent mécaniquement, gommant à peine les répétitions laborieuses qui avaient dû précéder. Bons petits soldats qui servaient un moment de divertissement. On pensait déjà à la bière qu’on irait s’enfiler, fallait pas que ça dure trop, les tutus. La petite fille sent qu’elle perd le rythme, les bras ne sont plus alignés à ceux des autres, la mécanique s’emballe mais le corps ne peut s’enfuir. Je transpire sous le fond de teint et le rouge à lèvres trop rouge pour mon âge.
il renvoie à plein de choses ton texte, la normalisation des corps, l’apprentissage de la féminité, pendant que les garçons, eux, jouent au foot (mais au foot la buvette est ouverte pendant le match)
tu as lu Rien sur ma mère de Christine Detrez?
Merci Philippe pour ce précieux coup d’oeil sur mon texte….