Je veux saisir cet instant où Giacometti pousse lentement la porte de son atelier de son atelier étroit, dénudé, sobre et presque sale, de son atelier du 46 bis de la rue Hippolyte-Maindron dans le XIVème arrondissement de Paris, cet atelier aux murs fatigués et gris sur lesquels sont encore au crayon, dessinées, des traces de lui, je veux saisir cet instant où, de son corps longiligne et de ses grandes mains tranquilles, il pousse la porte et entre dans ce qui est et sera toujours son atelier, saisir cet instant où il marche lentement dans son petit mètre carré, pas après pas, effleure du bout des doigts, ses sculptures inachevées, regarde son dernier croquis et s’installe à sa table de chevet, semble être le mot le plus approprié, je veux voir son dos se courber, son échine pliée, ses mains se concentrer et lentement, le regarder sculpter ce qu’il y a encore de non-révélé mais de-déjà existant, je veux regarder de plus prés, dans un silence ténébreux, la maigreur de ses personnages, le torturé de leurs visages et la détresse de leurs âmes, je veux sans être vue, le contempler et en être, avec fulgurance, saisie.
Je veux saisir cet instant où Camille Claudel enragée de s’être encore disputée avec son amant, entre violemment dans son atelier et commence debout et rapidement à sculpter, tout son être tendu, ses jambes arquées sous la grosse robe, ses pieds au sol et ses bras souples, cet instant où elle attrape à bras le corps, la silhouette à qui elle donne sa fougue et toute sa colère, cet instant où sa respiration ample et profonde se mélange à la matière qu’elle pétrit, voir et vivre cet instant où elle ne fait plus qu’une avec l’autre, lui transmettant son âme, sa vie et sa volonté farouche de devenir quelqu’un et d’exister, enfin.
Je veux saisir cet instant où ce jeune sculpteur inconnu, du coin du bout de la rue, tourne précieusement la clé de son atelier prêté par la mairie et qui, galant, me laisse passer devant lui, je veux saisir cet instant où nous quittons chacun notre quotidien pour entrer dans la parenthèse du temps, je veux saisir cet instant où après les banalités échangées, les mots n’ont plus besoin d’être prononcés, je veux saisir cet instant où, nue, je m’installe sur la petite estrade en bois et où, lui, lentement, commence, à me dessiner, je veux saisir l’intensité de son regard se poser sur ce que j’ai à offrir et l’entendre lui donner chair sur le papier épais, je veux saisir le murmure du crayon dans le silence de cette matinée et sentir la chaleur du soleil percer, je veux saisir cet instant où le chaud envahit perceptiblement mon corps à peine éveillé et où, nonchalamment, je me laisse être guidée.
Je veux saisir cet instant où il entre et referme doucement la porte du bureau, au bout du couloir du petit appartement, cet instant où j’entend la poignée tourner et s’arrêter, je veux saisir cet instant où en conscience, tout son être me dit Ne pas Déranger, et le silence qui s’ensuit, cet instant où cette porte ouverte se referme sur son monde à lui, saisir cet instant où il va allumer la touche de son clavier, regarder la liste de mots qu’il aura préparé et commencer à taper, cet instant où quelques minutes après avoir refermé, il va ré-ouvrir la porte, longer le couloir et, sans me regarder, aller chercher son café noir et sans sucre et se renfermer, et le silence qui s’ensuit, saisir cet instant où lui n’est plus moi, où je ne suis plus lui, où nous sommes seuls et à nous-mêmes, avant de nous retrouver.
quelle belle idée que ce « détournement » d’arrimer chaque fragment à un personnage artiste différent et d’achever le voyage avec le bureau d’écriture en cet instant « où nous sommes seuls et à nous mêmes avant de nous retrouver », un peu…
merci Clarence
Merci Françoise à toi pour ce regard.
Beaucoup de sculptures, peut être un peu trop mais j’aime aussi l’achèvement avec l’écriture.
Je suis en retard pour lire les textes mais je vais m’y remettre quand je pourrais. J’espère que tu vas bien.
Bonne journée.