la sonnette obscurément muette le pas obstinément feutré de la vieille l’embout en caoutchouc de sa canne plus vivant que la sonnette le filet de voix du coucou dans un souffle enroué juste pour qu’on ne l’oublie pas même des années plus tard accroché seul sur le mur de la cuisine une cuisine sombre pourtant ouverte sur un jardin les carreaux de la fenêtre huileux noircis au charbon de bois la cuisine comme le dernier salon où l’on cause entre femmes l’une ceinturée d’un vieux tablier de coton qu’à force la lessive ne blanchissait plus et les autres jusqu’à trois générations de femmes la grand-mère étant morte avant-guerre elle n’aura pas connu cette période trouble quand la rue résonnait du pas cadencé des troupes et de la peur qu’un soldat ne frappe à grands coups sur cette même porte dont la sonnette aujourd’hui éteinte la vieille ayant ôté le fusible isole la maison de la rue zone de tous les dangers pour les enfants surtout pendant le couvre-feu les vitraux de la double porte s’étant brisés sur le sol en mosaïque quand la gare avait explosé à l’autre bout de la ville la sonnette à présent sans voix bâillonnée réduite au silence et le coucou imperturbable égrenant les heures les bruits de la rue étouffés ne pénétrant plus dans l’immobilité lourde de la pièce et du temps qui passe