Dans la nuit de samedi, heure du décès 4H30 —à cette heure-là c’est déjà dimanche—, B est mort de sa belle mort ; ça ne lui disait rien de partir un dimanche — de Pâques en plus—: avec les cloches tu vois le truc? Tu parles d’une belle mort aurait dit B. 95 ans, sourd décharné sans dents — un grand-père tombé au champ d’honneur, ( lui c’était un vendredi) , à quarante trois ans ça c’est beau, partir dans la force de l’âge, ou plus jeune encore (une mort héroïque : en héros grec ) —, la langue sèche et le cul — c’est lui qui l’a dit— ulcéré : escarres et couches… faut pas tourner la langue autour du trou aurait dit B. s’il n’était pas mort. Le fait qu’il ne la gardait pas dans la poche sa langue; ni ses yeux. La veille (le samedi donc), dans la nuit, il lisait; il pouvait lire des heures à en oublier le boire et le manger, relire surtout : passé un certain âge on s’en retourne sur ses pages: les classiques de B. : Céline, Cendrars , Conrad… ses trois C, dans l’ordre des préférences ; puis Desnos… ( « on va pas faire l’alphabet », aurait pu dire B., — ce qu’on peut fourrer dans la langue des morts après coup, qu’il aimait les samedis par exemple mais pas les dimanches ! ). Ce dimanche matin à l’aube, le 9 avril à 4H30 Bob est mort ; c’est écrit sur la fiche du médecin— un SOS à cause que c’était dimanche. Il est mort de sa belle mort avec un livre ouvert sur le ventre (et des escarres au cul ) : décédé dans ses rêves, a dit Madame C., elle a pleuré en le disant ; venait tous les matins à huit heures, dimanches compris, — pourtant les nuits du samedi au dimanche c’est Tarot avec les Anciennes, les licenciées du Carrefour comme elle, (dès 5h tu badigeonnes les croissants et tu enfournes les bannettes, après tu vérifies les percolateurs ); Madame C. les samedis elle ne se couche pas avant 4 heures : on joue! On joue et c’est déjà dimanche, la nuit a passé qu’on a rien vu, comme la vie… C’est quand Madame C. se couchait, enfin un peu après, que B. est décédé de sa belle mort… c’est Madame C. qui l’a trouvé, à huit heures elle apportait toujours un croissant le dimanche , il avait le livre sur la poitrine et les mains en dessus et la bouche grand-ouverte; si elle avait su elle serait venue dans la nuit de samedi à dimanche lui prendre la main : mourir seul c’est dur tout de même, elle a dit en se mouchant, même de sa belle mort. Donc, quelques minutes avant l’aube, le matin du 9 ; un dimanche dans la nuit de samedi à dimanche B. est mort . Le jour des cloches, de sa belle mort. Madame C. l’a veillé jusqu’à 13 heures environ puis des membres de la famille sont passés, le fils et deux des petits enfants. Ils lui ont choisi une cravate rouge. B. avait toujours la bouche ouverte, Madame C. a préparé du thé et du café, elle a posé quelques gâteaux secs sur une assiette. A 19 heures Le corps a été emporté, zippé dans un sac réfrigéré, il avait toujours la bouche ouverte. Le jour tombait.
Merci !
Très beau votre texte Nathalie Holt. A bout touchant. Merci.
Merci pour ce très beau texte Nathalie.
Jérémie. Ugo, Laure Merci de votre passage et retours
ben dis donc, il est raide ce texte ! et bien