J’ai habité de grandes pièces haut de plafond, des parquets cirés pour danser et marcher pieds nus, un piano à queue dans la pièce principale, de grandes fenêtres où entre la lumière à pleins flots, de l’Est le matin, du Sud ensuite, un regard sur les marronniers d’un jardin proche en symbiose avec les saisons… espace précieux pour un enfant de la ville…Partir, revenir, encore partir, se souvenir…toujours
J’ai habité une terrasse ombragée par un tilleul, une maison au-dessus de la petite ville, qu’importe le chauffage vieillot, le lino vieilli, l’escalier raide, il y a la vue sur les toits courbes, les collines boisées, le pic en face couronné par une drôle de croix brillante qui flotte la nuit dans le ciel noir
J’ai habité un logement de fonction, bienvenu, mais bien trop petit pour la grande famille, des portes-fenêtres sur toutes les façades qui permettent aux enfants de se sauver et de courir dans les prés sur cinq hectares, de sauter dans la rivière sous le pont arqué, de se cacher et de réapparaître à leur guise, les devoirs pâtissent, mais la santé y gagne, ça manque de rigueur, mais c’est créatif, et le paysage, sauvage et grandiose, les marque à jamais
J’ai habité une maison dans le Sud, sur une colline couverte de vignes, pins et oliviers. Évasion, rêve. Vue sur la mer et le Mont Saint Clair. Immersion dans le monde du vin, fraîcheur des caves, crus en devenir, odeurs souvenir et chant des cigales
J’ai vécu des nuits dans les vagues de dunes, montagnes de sable sous le ciel bleu nuit piqué de l’éclat des étoiles, voie lactée et Cassiopée et lune opalescente et immensité étourdissante
J’ai dû revenir dans le paysage sauvage et grandiose en rêvant de mer bleue, dans une maison pas choisie, une maison subie, puis tolérée, on s’habitue, on fait avec puisque lui, il l’a voulue comme ça, il l’a inventée comme ça, il aime, alors on aime, on la soigne, on a rendu les armes. Depuis, elle est devenue ma maison, mon foyer, mon fouillis, ma tanière. Avec une véranda, petite maison de verre en lien avec le temps et l’espace, avec la rivière et les oiseaux, avec les arbres et les fleurs, avec le martèlement de la pluie et l’éblouissement du soleil
J’habite, j’ai habité, j’ai aimé habiter, j’aurais dû habiter, j’aurais voulu habiter. Actifs. L’action. Mais aussi le passif qui submerge, qui fait subir, supporter, qui transfigure, qui fait que je suis habitée. Je suis habitée par toute cette multiplicité, cette chronologie, par ces vies, amour, famille, enfants, amis, chats, chiens, par les sensations, par les odeurs, par les vues, les panoramas, les jardins, dedans dehors, dehors dedans, complément d’objets, de sentiments, d’émotions. De petits moments, de grands évènements, un kaléidoscope d’images, ancrées, enfouies tout profond en moi et qui sont moi.
Habiter, être habité ? Être !