( Suite Heure marocaine)
Tête baissée, elle marche vite, sans courir pour ne pas attirer l’ attention. La tête dans la capuche, elle regarde le sol, ses dalles irrégulières que le soleil a lentement et surement déchaussé de leur ciment, sablé, fabriqué à la va-vite.
Il est l’heure, et le cœur gros, elle vient de quitter sa soeur, ses neveux, sa seule vraie famille. Tous ses souvenirs sont encore associés aux Azuelos de la mosaïque sur les murs de la salle rectangulaire du patio. Ces dessins, elle les a fixés, observés, mémorisés des milliers de fois, pour tromper son ennui, alanguie sur les fauteuils de cette salle à ciel ouvert. Parfois les carrés de frise étaient posés à l’envers et tout le dessin en était déstructuré. C’est en déchiffrant sa géométrie qu’elle avait remarqué que le mosaïste avait dû s’égarer dans son propre dessin.
Dans cette maison, elle réalise que rien n’est complètement fini ou fiable. Il y a toujours un petit quelque chose qui casse l’harmonie de l’ensemble. Bien sûr à première vue, tout est impeccablement posé. Les couleurs du dessin, magnifiquement représentés dans les couleurs rafraichissantes accueillant le moindre courant d’air comme un enchantement. L’ensemble se reflète inexorablement dans la fontaine centrale qui semblait faire danser les arabesques sur les murs.
Elle laisse tout derrière elle. Elle ne se fait pas trop d’illusions. Quels autres murs va-t-elle découvrir, dans quelle autre enceinte, va-t-elle se retrouver, accusée pour haute trahison… Quitter ce riad, ce monstre de mari, sa richesse, cette prison , dorée, à ciel ouvert, à priori fabriquée et décoré pour elle.
Il ne lui reste pas beaucoup de temps pour fouler le sol de la cour extérieure, le sable pénètre dans ses chaussures de marche. Elle a peur de glisser sur les dalles mal associées, irrégulières, cassée par endroit . Elle les connait toutes par coeur à force de baisser la tête quand elle passe la porte la maison. Son fouloir l’empêche de regarder à gauche ou à droite. Elle ne peut voir le monde qu’à la verticale. Entre sol et ciel, elle a une envie irrépressible de regarder l’horizon. Il lui faut encore beaucoup de pas pour arriver à la gare , puis à l’aéroport. Elle attend impatiemment le moment où elle pourra rabaisser sa capuche , enlever son voile et détourner la tête de ces mosaïques qui lui font voir le monde à l’envers.