#anthologie #04 | façon Berlottier, chez vous, chez nous

1  » Il vaut mieux un petit chez soi qu’un grand chez les autres » disait la mère… alors à chaque fois que tu croises une bâtisse abandonnée , tu questionnes son histoire, depuis le début. Qui a bâti ? Pour qui ? Pour combien de temps ? Quelle trace dans les archives notariales et familiales ? Quels refus de vendre dans l’indivision ? Quelle anonymisation éventuelle de la création immobilière ? Quel effacement de l’existence des gens ? Seuls le lierre et les ronces, les murs éventrés, les toits démontés, les seuils aux quatre vents témoignent d’un jadis presque poétique et prophétique qui lève dans ton regard l’amertume ambivalente du gâchis. « Quand tu aimes il faut partir » disait Cendrars que tu n’approuves pas. Tu as tes raisons…

2 Tu vois toujours les mains du maçon lorsque tu photographies une maison, tes préférées sont en pierre, pierres de taille ou plus ordinaires, prélevées dans un lit de rivière ou dans la garrigue, parfois à la carrière locale. La forme des pierres indique un statut social, originaire ou acquis par acte de succession. Le pari macabre des viagers ou la déroute des dépôts de bilan… Les châteaux sont des monstres d’orgueil. La comptine indique les risques qu’ils encourent en prenant du volume. Tu aimes les châteaux vides ou à moitié écroulés. Ceux où tous les gamins s’aventurent à l’insu des parents. Les châteaux pour faire la guerre pour de faux… Toi tu serais le roi ou le prince, la princesse s’ennuierait et se laisserait compter fleurette par le jardinier… Tu vois l’embrouille ? Tu n’as jamais oublié le visage du petit pauvre dans Jacquou le croquant. Chacun chez soi. Les gueux dans la boue et les nobles dans leurs armureries de Don Quichotte. Et qui c’est qui gagne à la fin ? La dépossession des riches te parait une juste revanche, question d’ équité devant le droit au logement.

3 Tes maisons préférées ont une histoire sur au moins trois générations. Elles sont trop dispersées à ton goût. Tu en as perdu de vue certaines. Tu as rattrapé le coup en rachetant la maison parentale; elle contient toutes les autres.

4. La cabane est une façon d’habiter insolente. Comme dans la Ruée vers l’Est, il s’agit de s’approprier un espace et des matériaux pour s’abriter et jouer. Dans l’enfance la plus belle cabane a été construite entre une grosse maison austère et une vigne, dans un terrain en pente. Elle a été détruite par pure méchanceté et sans doute méconnaissance de la valeur des cabanes pour les enfants créatifs que vous étiez. Le père n’a pas protesté, la mère s’est tue. Nous n’étions pas chez nous !

5. La maison du cousin J. avec son vaste portail de bois à deux battants et sa targette sonore. Une merveille à explorer. Des animaux à observer et à driver. Les lapins et les poules sous vos ordres de galapiats. Les vaches et le cheval comme défis. Des étés fabuleux, inoubliables.

6.La maison du curé et sa grande succursale : l’église. A votre époque, rien n’était fermé à clé, on avait confiance puisque le regard divin voyait tout , y compris dans vos têtes de confessionnal et que le bien et le mal étaient bien rangés dans vos esprits. N’empêche. Les excursions interdites dans la sacristie ou le clocher étaient organisées par les plus intrépides, des garçons bien sûr. Leurs plans étaient sournois et malicieux. Tu te souviens surtout de leurs vantardises et de leurs récits farcis de rires. Dieu n’était pas si tout-puissant que prévu puisqu’ils ne se sont jamais fait sonner les cloches. Tu as mis longtemps à éliminer tes angoisses dans ce lieu poussiéreux et chargé de personnages plutôt indifférents. Le christ en croix était plus efficace que son père invisible pour te tenir plus sage que le reste de la smala. Tu n’aimais pas t’aventurer près des candélabres… La Maison du Bon Dieu disait béatement le curé… Tu parles ! Une machine à fric pour capter le Denier du Culte et le bénévolat des grenouilles de bénitier. Qu’on reconvertisse certaines de ces grandes bâtisses en salle de concert ou en galerie d’art ne te choque pas. Bien commun, n’est-il pas ? Tout est recyclable dans une maison qui a bien vécu et accueilli autant de gens, même incroyants.

[…]

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

Laisser un commentaire