On ne savait pas trop ce qu’elle avait comme maladie. Le diagnostic n’est pas tombé de suite. Il a fallu ausculter cette enfant de quatre ans et demi avec beaucoup de minutie. Elle n’a pas beaucoup de fièvre, un petit 37.7 et sa mère s’inquiète. Pas de ganglions, juste quelques petits boutons rosés sur le torse. Juste quelques petits boutons qui la grattent un peu. Un signe d’une varicelle ? Eh bien allons-y pour la varicelle. Ça soulage tout le monde, ce nom de varicelle qui est tombé inopinément. La petite est donc contagieuse. On va l’isoler : elle n’ira pas à l’école (chouette) et elle restera dans le lit de ses parents pendant une semaine. Dormir dans un lit-bateau, paquebot d’un sommeil qui a du mal à venir. Dormir et regarder par la fenêtre, ne pas quitter le lit sous peine de se faire rouspéter. Ne pas aller à l’école où elle s’ennuie. Ne pas voir ses camarades et rester avec sa maman qui s’absente une ou deux fois pour aller travailler. Rester seule une bonne partie de la journée, s’ennuyer et aimer ça, sur ce lit-paquebot dont elle est la passagère, petit sujet passif qui regarde par la fenêtre ce qui se passe dans le jardin en se mettant debout sur le lit. Voir les arbres, les oiseaux, les fraisiers et les framboisiers, regarder le bassin avec Titi l’énorme poisson rouge qui frôle les jambes de la petite fille quand elle se baigne dans le bassin. C’est l’hiver, les arbres sont dénudés. A peine manger de la soupe, toucher à peine au jambon, se nourrir de gougères et de purée là, sur ce lit-paquebot noir avec des couvertures roses. Ne pas jouer, se perdre dans les livres et le sommeil qui a du mal à venir. S’ennuyer, un peu, et vouloir rester ainsi toute sa vie éloignée de tout, de l’insolence et de la vie, vouloir rester dans les jupes de ses parents. Dire à sa mère et à son père : je veux rester avec vous quand je serai plus grande. Ne pas aller à l’école, rire, lire, s’ennuyer, manger, dormir sous cette couverture rose et ces draps orangés. Être sage, aussi sage qu’une image qu’elle regarde dans le livre qui est à sa disposition. Un livre avec un voilier, sur le lit-paquebot sur lequel elle aimerait naviguer et partir en mer. Elle fait semblant de dormir parce qu’elle aime rêver. C’est ce qu’elle fait de mieux, rêver, rêvasser pour ne pas exister dans la réalité. Elle fantasme beaucoup, c’est ainsi qu’elle s’ennuie en pensant à tout ce qu’elle pourrait faire si elle n’était pas clouée au lit. En même temps, s’arranger avec ça, avec son envie de ne pas sortir, de rester dans la chambre comme sa maman le lui a demandé. Rester clouée au lit avec son 37.7 de fièvre et s’embarquer pour rêver de partir en mer avec ce voilier de papier qui fait escale sur ce lit-paquebot.
s’ennuyer et aimer ça
être passagère d’un lit paquebot
vouloir rester ainsi éloignée de tout
le voilier de papier
Quel bel univers, on est au plus près de cette petite fille dans son monde, ses pensées, ses couleurs
Merci Françoise de cette lecture attentive
Lit-paquebot, rejoint le lit insulaire au milieu de la mer défaite, nos jeux, notre imagination d’enfant…