Toucher le corps de l’autre, le geste de toucher le corps de l’autre, pas dans l’élan amoureux ni dans l’embrassade ou la poignée de main conventionnelle. Non, toucher l’autre simplement avec respect, sans intention, avec pudeur. Prendre le poignet, toucher le nez ou les cheveux, très simplement. C’est difficile. On se recule, on se raidit, on a du mal. On redoute tout ce que l’autre va apprendre d’intime sur ce corps fait d’os de nerfs et de muscles en le touchant, des choses dont on n’est pas conscient soi-même. La puissance d’un muscle, la ténuité d’une ossature, la douceur d’une peau, la mollesse d’une structure, le vide ou le plein, le sec ou le généreux. Se laisser toucher par l’autre en retour, juste comme on est, tonique ou tendu, ouvert ou fermé. C’est difficile. On sait qu’il va apprendre sur nous, comme on apprend sur lui. Tout en angle ou tout en rondeur, cela n’a rien à voir avec l’apparence, avec ce qu’on voit avec les yeux, c’est plus profond, c’est au fond, la vérité nue du corps qu’on habite. Il y a des corps, gros et totalement anguleux, des maigres infiniment doux, des petits très raides et de grands parfaitement souples. Une infinie diversité des ressentis du corps de l’autre et le mystère à peine entre-aperçu de la façon dont notre propre corps est perçu par l’autre. Cela n’a rien à voir avec ce que voient les yeux, le toucher c’est autre chose. Une aventure, une expérience, une découverte. C’est troublant. C’est difficile, on n’y arrive pas tout de suite, à être sans protection. Elles sont rares les occasions où l’on peut toucher l’autre de cette façon dans la réciprocité; on ne se touche pas, on garde ses distances et pas seulement en période de pandémie. Toucher le corps de l’autre sans séduction, sans affection, sans convention, sans médicalisation, sans prédation, les opportunités sont inexistantes. On ne l’apprend pas, le corps de l’autre reste un mystère ou devient une proie à forcer par la violence.
« Il y a des corps, gros et totalement anguleux, des maigres infiniment doux, des petits très raides et de grands parfaitement souples. Une infinie diversité des ressentis du corps de l’autre et le mystère à peine entre-aperçu de la façon dont notre propre corps est perçu par l’autre. Cela n’a rien à voir avec ce que voient les yeux, »… C’est si juste.
Merci Nathalie.
je suis revenue une deuxième fois vers ton texte
la scène de la vidéo danse est assez difficile pour moi à supporter, si âpre si violente… du coup tes mots juste après deviennent comme unbaume
(et ça pourrait aller plus loin encore, l’exploration de cet interface entre main et peau)
Ah oui, elle est dure cette vidéo ! Et pourtant elle commence de façon si anodine.Tout le génie de Pina Bausch !
Main-peau, ce serait plutôt à toi de l’écrire …
» cela n’a rien à voir avec l’apparence, avec ce qu’on voit avec les yeux, c’est plus profond, c’est au fond, la vérité nue du corps qu’on habite. » oui le toucher que tu racontes là est délicat, attentif, le toucher dans ce ballet de Pina relève du viol, ce qui me donne envie d’écrire sur les gestes déplacés, histoires de filles… (bien que pas que… ne pas l’oublier)
Merci Catherine. Tu as déjà écrit sur les gestes déplacés, continue c’est intéressant.
Etonnant décalage entre cette vidéo dérangeante, ou le corps de cette femme est mâle traité, et ce texte qui nous interroge sur notre rapport au corps de l’autre et qui nous y invite à le découvrir. Bravo.
Merci Laurent. Pina Bausch est très inspirante, mais le texte me vient plutôt de ma pratique de l’aïkido …
Je ne connais Pina Bausch, je suis impressionné et gêné pour l’actrice, pourtant il n’y qu’une représentation, ça secoue le spectateur.