vers un écrire/film #04 | T.M.S.

C’est une cliente de la pharmacie. Je ne la connais pas. Moi, je suis là pour un renouvellement d’ordonnances, la mienne et celle de mon mari. Elle essaie des attelles pour le pouce. La sienne ne lui convient pas, trop lourde, pas assez souple, trop voyante ou bien n’a-t-elle qu’un bricolage maison qu’elle a concocté pour se soulger. Je n’ai pas vu. « Il va vous falloir des infiltrations, dit le pharmacien ». Elle ne dit pas non. Je connais cette douleur pour me l’être infligée en détourant des personnages pour des montages photo, au trackpad quand il aurait fallu disposer d’une tablette graphique et d’un peu plus de technique. C’est une douleur de travailleur, de travailleuse, une douleur de la répétition, ni un accident ni une maladie, une usure, une inflamation. La dame parle des moments où elle repasse. Serait-elle repasseuse dans un pressing ou repasseuse pour sa maisonnée d’hommes en cravates-chemises impeccables, femme de ménage chargée aussi du repassage ou repasseuse à domicile pour cadres célibataires ? Elle n’a pas l’air jeune et pourtant elle travaille, c’est une maladie de travailleuse. Quel âge a-t-elle ? Pas très bien mise, ni bien peignée, ni bien habillée, pas vraiment distinguée, mais vaillante et de bonne humeur, souriante malgré sa main qui souffre. « Il faut se sentir bien parce que c’est un coût quand même ». Le pharmacien sort une autre boite. « Vous me la placez ». « Bien sûr ». Elle tend sa main, coude sur le comptoir, paume vers le haut. Il ajuste l’atelle avec les scratchs. Elle remue un peu les doigts, mobilise son pouce, le replie dans la paume, l’écarte, le regarde bouger, en estimant le soulagement et la douleur résiduelle. Elle trouve que c’est bien. « J’ai autre chose, plus rigide, en forme de coque, mais je pense que celle-là vous va mieux. Vous voyez le médecin bientôt ? ». « Pas tout de suite » répond-elle évasive. « Ça fait 53 euros. Si vous m’apportez une ordonnance pour une attelle la prochaine fois, je pourrai la déduire. » On m’a servie je reprends ordonnances et cartes vitales et je laisse la place. Il y a beaucoup de monde entre prescriptions, tests et vaccinations (où l’on invite les gens dans l’arrière-salle qui fait office de bureau vaguement séparé des étagères de stockage. Je n’entends pas la fin de l’échange entre le pharmacien et la dame qui repasse. La maladie des caissières, du travail sur ordinateur, des repasseuses, le travail qui use les corps autant que l’âge.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

2 commentaires à propos de “vers un écrire/film #04 | T.M.S.”

  1. « en estimant le soulagement et la douleur résiduelle ». Je lis dans cette notation ce qui reste de l’aliénation. Le geste définit mais il s’impose aussi comme un intrus.