autobiographies #04 | ici, les lieux

Clinique Marcel Sembat au 105 avenue Victor Hugo, Boulogne Billancourt, à 10 minutes du métro du nom de l’homme politique. Façade grise entourée de panneaux colorés jaunes, rouges et verts. 2ème étage par l’ascenseur suivi d’un couloir gris, non pas sale et défraîchi, non, un joli gris, un gris de ciel avant la pluie. Affiches de cinéma sur les murs, des couloirs aux allures de stars. L’hôpital du cinéma ou le cinéma de l’hôpital. L’odeur du lieu, du propre, des médicaments à prendre, des produits à nettoyer. L’odeur de la mort aussi, le silence, les pleurs feutrés à travers les portes entrouvertes. La chambre, semblable à celle d’une autre, pas de tableau, pas d’images, pas de couleurs. Un vase pour les fleurs. Une plaque au bout du lit avec son nom. Elle arrivait tout juste à la retraite, chanteuse lyrique, une voix, un corps, une présence, belle. Au fil des visites, elle était devenue squelette, une femme squelette, le repas du crabe. Elle regardait dehors pour ne rien oublier. Ne rien oublier, continuer à chanter et à aimer. Mais elle n’a pas pu, brusquement, violemment, elle s’en est allée, sa voix errant dans les limbes du souvenir pour l’éternité.

Année 1995, 15 rue de lodi 13006 Marseille – Un café, pas loin du métro Notre dame du Mont/Cours Julien, un épicier peut-être, l’odeur des croissants, des détritus de la veille dans la rue pas encore nettoyée. Un petit immeuble, un petit appartement, 4ème étage, avec un accès sur les toits d’où pendait un fil à linge accroché, au gré du vent. Petite cuisine jaune, petite toilette blanche, petite salle de bains étroite avec son ampoule au dessus de l’évier. Un lit, un canapé, la lumière du soir par la fenêtre. Et elle, Angéline, trop grande pour ses murs, brune, belle et charnue, aimait à étendre ses vêtements dehors, l’asperger de lessive et attendre que la pluie tombe pour laver et le toit et le linge.

Année 1990, 15 rue Paul Bert 75011 Paris métro Faidherbe Chaligny. Le café d’en face, vieux rade, presqu’un PMU, odeur du café du comptoir, le sourire du propriétaire. La rue Paul Bert avec sa laverie en face et sa cordonnerie CHEZ ALEXIS – L’odeur du cuir verni, les clous à ressemeler, les petites boites empilées, le cirage à vendre, les petites lumières dans le fond, la pièce à travailler, le bonjour aux clients. Toujours là à recevoir les chaussures et pas les pieds. Haute la cordonnerie, de plafond, murs d’un rouge violet, sol sombre et petite chaise pour s’asseoir à l’écoute de la machine contre les semelles à rafistoler. Jazz dans le transistor de grand-père qui grésillait et Alexis. Alexis, argentin, géant comme son plafond, costaud et regard de bonté. Sa voix grave et chaleureuse, le rire joyeux et puissant, l’oreille attentive, toujours là, toujours ouvert, toujours à réparer, tout.

Helsinki entre deux avions. Il y a de ces lieux dont on sait que certainement on n’y remettra plus jamais les pieds et les mains et que seuls le destin, le hasard ? vous a emmené à cet endroit, comme par accident. Un de ces lieux où tout est hors du temps, hors du quotidien. Les portes vitrées coulissantes glissant délicieusement sur le sol et dont on n’ose à peine franchir de ses pas, de peur de déranger. Les couloirs de fines moquettes éclairés de lumières tamisées qui mènent tout droit à une chambre à ouvrir à l’aide d’une petite carte subtilement rangée entre les tissus de la poche du pantalon de velours. Petite carte qu’il faut dès lors introduire dans une autre fente pour que jaillisse, ô miracle, la lumière. Salle de bains, toute de noire vêtue, la brillance des miroirs, dévoilant tous les aspects de l’anatomie. Petites tables de chevets transparentes, lit prometteur aux draps blancs. Du bout des doigts, tout est sensualité. Les murs, le canapé, l’évier et même la corbeille de papier. Tout glisse, caresse, effleure, la douche chaude et voluptueuse, le savon et les serviettes pour se sécher. Douceur de la nuit, douceur du temps, douceur de la vie échappée du réel. Et jolie surprise du matin où l’on s’aperçoit qu’un autre hôtel aux baies transparentes laissent dévoiler depuis la veille, toutes les nudités.

45 avenue Marceau 75016 Paris – Boutiques Dior, Guggi et restaurants étoilés, non loin, de la flamme en hommage à Diana. Ce jour-là, Maria se tenait, droite, devant la porte en bois lourde à pousser puis avait soigneusement tapoté le code à cinq chiffres, franchi le passage et s’était essuyé les pieds sur le paillasson de l’entrée. Dans la jolie cour à traverser, elle avait regardé pensive les immenses appartements vides emplis de bibelots de valeurs, sans vie, ni personne. Puis, elle s’était lentement dirigée vers une petite porte du fond ouvrant sur un étroit escalier. Pas d’ascenseur, mais de la hauteur, six étages pour atteindre les cieux Six étages, courses dans les mains, multitude de marches à grimper, le souffle coupé. Peut-être même qu’elle les avait compté une fois ces foutues marches, elle ne s’en souvient plus. Six étages pour arriver, là où tout le monde se connait. Le voisin, de la voisine, de la famille du bout, du gars d’à côté, des espagnols de l’autre porte côtoyant les portugais d’en face et tout ce monde bataillant pour courir en premier à la porte des cabinets. Vues étincelantes de la petite lucarne en vitre à soulever et à coincer dans le trou pour contempler la Tour Eiffel, surtout le soir de Noël. Et le reste de l’année ? La fête tous les jours, la musique à danser, l’odeur de la cuisine de partout. Maria adorait cet endroit et pour rien au monde, elle ne l’abandonnerait, jamais, qu’elle avait dit.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.