## Double voyage #03 Brindilles de Mémoire et de Visu

Table de travail d’Henri Michaux par Brassaï

Foule infinie notre clan.

Ce n’est pas dans la glace

qu’il faut se considérer.

Hommes, regardez-vous dans le papier.

hENRI michaux
Henri Michaux Dessin à l’encre de Chine

1… Et parfois…Tu crois que c’est un bout de peau sèche qui dépasse sous ton pied, mais c’est un bout de scotch que tu détaches avec précaution. Ta table de travail déborde de papelards c’est pourquoi tu perds la notion du temps dans l’empilement, l’empiétement récurrent des documents et des bouquins. Faire place nette. Garnir tes poubelles de notes et de gribouillis non inventifs sur des supports de fortune. Bouts de carton d’emballage, chutes de feuilles à imprimer , pages de carnets arrachées, petits carreaux toujours ou parfois lignées, chutes de pages blanches, toujours trop d’espace pour l’écriture manuscrite. Tu le remplis à chaque fois. Trop de choses te disent de parler d’autres choses. Cela n’en finit pas. Lui qui dit ( H.M) devant les paysages : Fini , maintenant , j’interviendrai

…Toujours la main de traviole, gauche, elle se souvient textuellement de la plume sergent major, de son encre traîtresse, de V.. du buvard maculé et bientôt en charpie, elle a conservé les images principales, les a même rêvées de temps en temps,elle recèle l’odeur de la classe, celle plus trouble des toilettes collectives miniatures, le froid de la céramique blanche; les gestes ou les ordres empressés des adultes, gardiennes de petits troupeaux enfantins, Il dit : la vie est courte mes agneaux…Reléguer les écrivains morts à leur histoire, ce serait décoller le morceau de scotch sans état d’âme. Laisser dormir les mort.e.s, tous les morts avec les morts, toutes les mortes avec les mortes… Les mots ne leur appartiennent plus même s’ils ou elles en ont fait bon usage. Place aux vivant.e.s, non à l’épouvante, à la mort rejouée à crédit ou par superstition. L’écriture est une excavatrice qui n’accélère pas le temps, au contraire des voix ferroviaires qui ont emmagasiné les plaintes et les pleurs. Partir c’est mourir un peu ou même carrément. C’est une loterie sinistre , pas toujours. Revenir est-il un privilège ou un échec ? Chaque voyage remet le curseur à zéro.Il fallait le dire à quelqu’un.e mais l’absence s’est installée, s’est même désincarnée. Tout le monde n’est pas capable d’hallucination positive. Vouloir remettre en face de soi, surgissant depuis la foule, l’être le plus aimé, le plus complémentaire, le plus ajusté à sa propre cadence cardiaque… Et parfois… Tu crois que tu l’as retrouvée … Quoi, l’éternité ? dans une histoire racontée, rocambolesque ou funambulesque, une mythologie plus ou moins personnelle, une séquence émotionnelle à jamais imprimée dans ta voix pelliculée, peau sèche, elle aussi. Tu décolles quelque chose à chaque fois que tu écris, tu tires doucement et tu regardes à la lumière, en transparence, l’empreinte de fossile sur ta peau morte. La page blanche, l’écran lui ressemblent.

Tandis que LUI, dit ( dans la Nuit remue) :

Je vous construirai une ville avec des loques, moi !

Je vous construirai sans plan et sans ciment

Un édifice que vous ne détruirez pas,

Et qu’une espèce d’évidence écumante

Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,

Et au nez gelé de vous vos Parthénons, vos arts arabes, et de vos Mings

[…]

Dans le noir nous verrons clair mes frères.

Dans le labyrinthe nous trouverons la voie droite.

Carcasse , où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?

Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre

mondes !

Comme je vais t’écarteler !

2. Eh, bien non ! Pas besoin de construire une ville, elle se fabrique toute seule, grossit grossit, s’engrosse elle-même comme les métastases, elle devient suffisamment angoissante pour donner envie de la quitter. La Ville de lumière n’a pas besoin de moi, et tu le sais , la Nature non plus… Et s’il fallait prouver quelque chose de cet ordre du monde ,là, juste sous nos yeux. Il suffirait de prendre le temps d’observer une fleur sauvage pousser dans un interstice de muraille, aller en silence absolu à son zénith puis à sa perte sans le moindre cri…

Nos gesticulations verbales n’inventent rien de nouveau, nous rencontrons sans arrêt des montagnes et des dénivelés… des volcans et des tempêtes de colère… Et celui ci qui écrit , contemporain dans la collection blanche…Enfin dégagé ou presque de son assignation doctorale… Un qui a la chance de laisser avec sa plume courir d’autres fortunes, ou d’autres romances fictives de papier, qui te dit : – Oh, tu sais bien, moi j’aime les grands fous ! La folie et l’écriture sont deux soeurs jumelles, tu as beau le savoir tu te laisses prendre au miel des ouvrages, des formulations intelligentes, parfois très élégantes, souvent très « plates » ou emphatiques. Il aurait fallu le savoir un peu plus tôt, repérer la folie dès le berceau, savoir envoyer plus loin sa bille noire et fuyante. La laisser ricocher le long des berges en feutre de la patience et de l’indulgence. Le jeu des boules noires existe depuis la nuit des temps, on tire encore au canon dans les villes et aucun livre, aucun conte moral ne l’empêche. Le malheur ( son) grand laboureur !.insiste H.M. Ecrit-on sur autre chose de plus envahissant ?

de D…

… de D. on se souvient de rien…

Il hurle

On le bat

Il s’écroule

30 kilos

en haillons

Ta gueule !

Halt die Klappe !

On le ramène

Chiffon sale

Camarades

de stalag

Sont tous

à la même

enseigne

survivent

clapotent

dans la boue

l’ignominie

du camp

Ce sont

pourtant

des hommes

qui voulaient

vivre

travailler

aimer

Impossible

retour

Notre oncle

maternel

raflé STO

évadé

rattrapé

déporté

21 ans

Parti

sans

se retourner

de L…

aux Brotteaux

en tenue

de travail

sans valise

police

française

Parti

déifnitivement

Ses portraits

partout

dans la maison

Evaporé

sans

sépulture

ni retour

pour

toujours…

Des papelards

baignés

de larmes

et des

tampons

Mention

Mort pour la France

Nous on s’en fout !

Vendu par Vichy.

Impossible deuil.

Lettre aux familles

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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