Foule infinie notre clan.
Ce n’est pas dans la glace
qu’il faut se considérer.
Hommes, regardez-vous dans le papier.
hENRI michaux
1… Et parfois…Tu crois que c’est un bout de peau sèche qui dépasse sous ton pied, mais c’est un bout de scotch que tu détaches avec précaution. Ta table de travail déborde de papelards c’est pourquoi tu perds la notion du temps dans l’empilement, l’empiétement récurrent des documents et des bouquins. Faire place nette. Garnir tes poubelles de notes et de gribouillis non inventifs sur des supports de fortune. Bouts de carton d’emballage, chutes de feuilles à imprimer , pages de carnets arrachées, petits carreaux toujours ou parfois lignées, chutes de pages blanches, toujours trop d’espace pour l’écriture manuscrite. Tu le remplis à chaque fois. Trop de choses te disent de parler d’autres choses. Cela n’en finit pas. Lui qui dit ( H.M) devant les paysages : Fini , maintenant , j’interviendrai…
…Toujours la main de traviole, gauche, elle se souvient textuellement de la plume sergent major, de son encre traîtresse, de V.. du buvard maculé et bientôt en charpie, elle a conservé les images principales, les a même rêvées de temps en temps,elle recèle l’odeur de la classe, celle plus trouble des toilettes collectives miniatures, le froid de la céramique blanche; les gestes ou les ordres empressés des adultes, gardiennes de petits troupeaux enfantins, Il dit : la vie est courte mes agneaux…Reléguer les écrivains morts à leur histoire, ce serait décoller le morceau de scotch sans état d’âme. Laisser dormir les mort.e.s, tous les morts avec les morts, toutes les mortes avec les mortes… Les mots ne leur appartiennent plus même s’ils ou elles en ont fait bon usage. Place aux vivant.e.s, non à l’épouvante, à la mort rejouée à crédit ou par superstition. L’écriture est une excavatrice qui n’accélère pas le temps, au contraire des voix ferroviaires qui ont emmagasiné les plaintes et les pleurs. Partir c’est mourir un peu ou même carrément. C’est une loterie sinistre , pas toujours. Revenir est-il un privilège ou un échec ? Chaque voyage remet le curseur à zéro.Il fallait le dire à quelqu’un.e mais l’absence s’est installée, s’est même désincarnée. Tout le monde n’est pas capable d’hallucination positive. Vouloir remettre en face de soi, surgissant depuis la foule, l’être le plus aimé, le plus complémentaire, le plus ajusté à sa propre cadence cardiaque… Et parfois… Tu crois que tu l’as retrouvée … Quoi, l’éternité ? dans une histoire racontée, rocambolesque ou funambulesque, une mythologie plus ou moins personnelle, une séquence émotionnelle à jamais imprimée dans ta voix pelliculée, peau sèche, elle aussi. Tu décolles quelque chose à chaque fois que tu écris, tu tires doucement et tu regardes à la lumière, en transparence, l’empreinte de fossile sur ta peau morte. La page blanche, l’écran lui ressemblent.
Tandis que LUI, dit ( dans la Nuit remue) :
Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas,
Et qu’une espèce d’évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de vous vos Parthénons, vos arts arabes, et de vos Mings
[…]
Dans le noir nous verrons clair mes frères.
Dans le labyrinthe nous trouverons la voie droite.
Carcasse , où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre
mondes !
Comme je vais t’écarteler !
2. Eh, bien non ! Pas besoin de construire une ville, elle se fabrique toute seule, grossit grossit, s’engrosse elle-même comme les métastases, elle devient suffisamment angoissante pour donner envie de la quitter. La Ville de lumière n’a pas besoin de moi, et tu le sais , la Nature non plus… Et s’il fallait prouver quelque chose de cet ordre du monde ,là, juste sous nos yeux. Il suffirait de prendre le temps d’observer une fleur sauvage pousser dans un interstice de muraille, aller en silence absolu à son zénith puis à sa perte sans le moindre cri…
Nos gesticulations verbales n’inventent rien de nouveau, nous rencontrons sans arrêt des montagnes et des dénivelés… des volcans et des tempêtes de colère… Et celui ci qui écrit , contemporain dans la collection blanche…Enfin dégagé ou presque de son assignation doctorale… Un qui a la chance de laisser avec sa plume courir d’autres fortunes, ou d’autres romances fictives de papier, qui te dit : – Oh, tu sais bien, moi j’aime les grands fous ! La folie et l’écriture sont deux soeurs jumelles, tu as beau le savoir tu te laisses prendre au miel des ouvrages, des formulations intelligentes, parfois très élégantes, souvent très « plates » ou emphatiques. Il aurait fallu le savoir un peu plus tôt, repérer la folie dès le berceau, savoir envoyer plus loin sa bille noire et fuyante. La laisser ricocher le long des berges en feutre de la patience et de l’indulgence. Le jeu des boules noires existe depuis la nuit des temps, on tire encore au canon dans les villes et aucun livre, aucun conte moral ne l’empêche. Le malheur ( son) grand laboureur !.insiste H.M. Ecrit-on sur autre chose de plus envahissant ?
de D…
… de D. on se souvient de rien…
Il hurle
On le bat
Il s’écroule
30 kilos
en haillons
Ta gueule !
Halt die Klappe !
On le ramène
Chiffon sale
Camarades
de stalag
Sont tous
à la même
enseigne
survivent
clapotent
dans la boue
l’ignominie
du camp
Ce sont
pourtant
des hommes
qui voulaient
vivre
travailler
aimer
Impossible
retour
Notre oncle
maternel
raflé STO
évadé
rattrapé
déporté
21 ans
Parti
sans
se retourner
de L…
aux Brotteaux
en tenue
de travail
sans valise
police
française
Parti
déifnitivement
Ses portraits
partout
dans la maison
Evaporé
sans
sépulture
ni retour
pour
toujours…
Des papelards
baignés
de larmes
et des
tampons
Mention
Mort pour la France
Nous on s’en fout !
Vendu par Vichy.
Impossible deuil.
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