#écopoétique #03 | Un jardin

car il faut le dire, si c’était un jardin stérilisé, couvert de tonnes de graviers neutralisant la pousse  des herbes dites mauvaises et donc évitant tout travail d’entretien à l’ancienne propriétaire, il avait de grands arbres : deux hauts cyprès bleus de Californie, un néflier, deux pins quasi parasols, un olivier dans la force de l’âge. Très vite il a fallu couper les pins plantés en bordure dans un rien de terre et qui se balançaient avec grande amplitude chaque jour de mistral. Ils risquaient de détruire le jacuzzi du voisin. À l’instant où la première tronçonneuse a entamé le premier tronc, elle est allée vomir de douleur, en maudissant les voisins les jacuzzis les lotissements les bordures et toute la vie en parcelles ainsi que la sienne, venue se poursuivre ici dans quatre cents mètres carrés de terrain entourés de grillage et de haies, représentatifs de sa classe sociale et sans relation aucune avec son goût pour les forêts. Puis elle fit couper le néflier qui était laid car malade, ne pensant que dix ans après qu’elle aurait dû le soigner.  Les hauts cyprès de Californie, le long de la palissade séparant les jardins, se sont peu à peu desséchés victimes de vieillesse et de canicules, eux aussi plantés dans un rien de terre en bordure d’une terrasse avec vue sur la colline et l’église moyenâgeuse de Saint Pancrace, terrasse dont ils avaient déglingué les carreaux, normal pour des arbres. Il a fallu les abattre à cause du feu toujours possible et de l’obligation d’avoir des haies d’un mètre quatre-vingt, toujours à cause du feu. De l’autre côté se trouvait un barbecue utilisé même l’été. La vieillesse et la mort naturelle des hauts cyprès bleus de Californie n’étaient pas négociable, la paix devant primer sur la nature, sur l’odeur d’agneau grillé chaque dimanche alors que déjà durant la semaine elle suivait en voiture les camions d’agneaux de Sisteron en route vers l’abattoir, avec leur forte odeur de stress animal. Comme quoi on n’isole pas le week-end de la semaine parce qu’on a décidé de rester tranquille dans sa parcelle.

Vint le temps d’enlever les graviers afin de laisser respirer le sol, recouvert sous ceux-ci d’un tapis de feutre-plastifié, sac par sac, carré par carré, muscle par muscle, caillou par caillou. Parfois enfin on creusait pour planter un arbuste, retirant de la terre claire exsangue morte et sèche des bouts de bouteilles de plastique, des bouts de verre et des blocs de béton : le sous-sol du jardin était un remblai, c’est-à-dire en langage du début des années quatre-vingt une poubelle. Des graines et plantes sauvages furent récoltées et apportées en toutes saisons : menthe, thym, sarriette, fenouil, pensées sauvages, pervenches, coquelicot, pissenlit, buis, chicorée, belles de nuit, certaines à nouveau arrachées quelques années après car ayant trop pris leurs aises. Un petit figuier découvert le long de la palissade fut replanté au centre du jardin, un deuxième olivier vint tenir compagnie au premier, bientôt on parlait d’un petit potager avec ses bases persistantes : oseille, estragon, roquette, marjolaine, fraises, œillets d’Inde, pavot de Californie, arroches, au milieu desquelles poussent en vrac selon les plans trouvés au marché, la joie de vivre du jardinier et donc l’énergie vitale du jour, ainsi que la résistance du végétal à l’absence de pluie: salades haricots géants volubilis tomates basilic blettes poireaux mâche céleri épinards-nains et si chance radis. Le jardin reste à chaque printemps un idéal couvert de fleurs et de fruits auquel le réel vient régulièrement apporter sa touche d’imprévisible : pluies rouges de sirocco, canicules, sauterelles géantes, punaises, pégomyie, vers, grêle, pourriture grise, carpocapses, mildiou, taches noires, cochenilles, pyrales et autres non nommés, que le jardinier n’a, pour son bonheur et sa survie de jardinier, toujours pas engrangés dans son imaginaire du jardin.

Reste un cercle étonnant, dessiné au milieu d’une vieille terrasse par les lauzes fendues. On n’explore pas, on laisse : un puits ? une arrivée du tunnel lié à l’ancienne prison ? rien ?

A propos de Valérie Mondamert

J'anime des ateliers d'écriture dans les Alpes de Haute-Provence depuis dix huit ans, (DU d'animateur en atelier d'écriture en 2006, à Marseille), je suis prof de musique et je mêle avec joie les deux fonctions. J'ai publié des récits.

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