#anthologie #03 | les plumes

Les plumes

Systématiquement. Systématiquement ? Non pas. Quand je vois une plume au sol, je ne peux pas m’empêcher d’au moins y penser. Parce qu’une plume n’a rien à faire au sol. La vue d’une plume au sol me heurte systématiquement, vrai. Mais je ne la ramasse pas systématiquement. Parce que j’ai peur d’être vue en train de ramasser la plume. Alors je m’en vais, y pensant, me maudissant de l’avoir laissée là, seule, à la merci de tout ce qu’un sol peut faire à une plume.

C’était il y a une dizaine de jours. Devant la Détente. Une plume. Là. Tandis que mon cerveau commençait à réfléchir à toutes les bonnes raisons pour que je passe mon chemin, mon corps lui s’est penché et une de mes mains l’a saisie. Une fois dans ma main, au bas des trois marches de la Détente, je me sentais à la fois prise au piège et libérée. Celle-là ne sera pas restée au sol, sur le bitume froid d’un printemps d’année de treize lunes. Que faire ? au bout de mon bras, la main tient la plume. Mais mon cerveau calcule déjà tous les mouvements de la journée. Il ne faut pas que cette plume me mette en retard. Vite. Je suis déjà sur la terrasse. Comme un peu mieux protégée que dans la rue, trois marches plus bas. Ma tête tourne autour de la terrasse, mes yeux cherchent un endroit à la fois en vue et invisible. Le pot de Dipladénias, celui de gauche, ou celui de droite, c’est selon comme on se trouve sur la terrasse. Je la plante, à l’ombre des feuilles vertes. Soulagée. Je n’y pense plus. Elle est là. Je n’y pense plus. Jusqu’à ce matin. Je crois que je l’ai aperçu hier justement. Juste avant la fin d’une de ces treize longues lunes. Personne d’autre ne la voit. Je ne crois pas du moins. Ce matin, après la douche, après la sixième ou septième clope sur le chemin de la Détente, en arrivant au bas des marches, je regarderais si elle est toujours là.

B: »-elle est toujours là, sauf si la pluie l’a faite tombé…

A: »Ah…tu l’avais vu?

B: »On l’a tous vu…

A: »ah…elle était pas très bien cachée…

B: »Non. On fait attention…tu sais ma mère ramasse toutes les plumes qu’elle croise…tu peux faire pareil. J’ai l’habitude. Elle est blanche et noire grise, et grande. »

A propos de Alexia

Chercheuse par diplôme (Master 2, 2018) en littérature anglaise du 20ème siècle à Tours, indépendante car pas rattachée à une université pour l'heure, je fais des mousses au chocolat, des îles flottantes, du pain perdu caramel, des meringues, des crèmes brûlées...un jour, j'arriverais au niveau de la tarte au citron de Blanche!!! je l'aurais un jour!!! je l'aurais!!! En attendant, j'épluche aussi des pommes...

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