# anthologie 03 Tarkos # Le galet

Le galet

Le galet. Je l’ai trouvé au bord de la rivière. Parmi tant de galets amassés par le courant. Un galet blanc. D’un blanc lumineux. Le galet était rayonnant, il me faisait signe. C’est pourtant un galet tout simple. Blanc, oui, je l’ai déjà dit. Les autres galets étaient gris. Ou beiges. Ou ocres. S’il avait été noir, je l’aurais peut-être choisi aussi. Mais là, il est blanc. Opale. Couleur de lait. Je n’aime pourtant pas le lait. Mais j’ai tout de suite aimé ce galet blanc. Il est parsemé d’étincelles argentées. Si j’étais géologue, je pourrais vous dire pourquoi. Mais là, tout de suite, je ne sais pas, je vois juste que c’est joli. Qu’il me plaît, ce galet. Que j’ai eu envie de le prendre dans ma main. Moi qui préfère les fleurs, j’ai choisi ce galet. Ou alors, c’est lui qui m’a choisie. Il me va bien. Il tient bien dans ma main, ce galet. Ovale. Juste de la taille de ma paume. Je peux fermer ma main sur lui. Il n’est pas rond, le galet, mais il est lisse. Ovale et lisse. Comme poli. Poli par l’eau, les vagues, le courant. Il vient de loin, le galet. Un rocher du mont Lozère qui a dû éclater sous un orage, terrassé par l’éclair puissant, qui a envoyé un fragment dans la rivière. Le galet n’est pas descendu seul, il y avait plein d’autres pierres qui caracolaient, qui cascadaient, qui se cognaient contre d’autres rochers. Le galet blanc a nagé, flotté, sautillé avec les autres, puis, dans la vallée, il a échoué sur une petite plage au milieu d’autres galets. Je n’aime pas les plages de galets. C’est inconfortable, pas stable, casse-pieds, on perd l’équilibre, on glisse, on se fait des entorses. Je préfère les plages de sable. Mais ce jour-là, le hasard m’a amenée vers ce petit galet blanc. Pas si petit que ça, puisqu’il est à la mesure de ma paume. Je le prends dans ma main, je ferme ma main sur le galet, je l’enferme, je l’enserre, je le réchauffe, je le pèse. Je rouvre ma main, je regarde le galet. Je le regarde bien. Vous me direz, il n’y a rien à voir, ce n’est qu’un galet. Mais c’est faux. C’est un galet. Mais un galet spécial. C’est devenu mon galet, mon galet à moi ! Il est beau, il est doux, il chauffe au soleil, se réchauffe dans ma main. Mais alors, à quoi il sert, ce galet ? Qu’est-ce qu’on peut faire avec un galet ? Bon, on peut le jeter, faire des concours de jet. Mais je préfère le garder. On peut le poser sur une table pour faire joli. Sur une lettre pour qu’elle ne s’envole pas au premier courant d’air. On pourrait le peindre, lui peindre des yeux et une bouche, mettre du rouge aux joues et une cravate bleue sur le cou blanc. Ou l’habiller en cuir et en velours pour faire élégant. Ça se fait dans les ateliers couture. Mais je l’aime bien comme il est, mon galet, nature, blanc. Je vais juste le polir encore, le galet, le frotter avec un chiffon doux, je vais le caresser un peu avec mes mains, avec mes doigts, sentir comme il rayonne, mon galet blanc, comme il me répond quand je le regarde. Ensuite je lui trouverai une place en vue,  sur le rebord de ma fenêtre, entre les géraniums rouges et les pétunias bleus qui embaument l’entrée.

A propos de Monika Espinasse

Originaire de Vienne en Autriche. Vit en Lozère. A réalisé des traductions. Aime la poésie, les nouvelles, les romans, même les romans policiers. Ecrit depuis longtemps dans le cadre des Ateliers du déluge. Est devenue accro aux ateliers de François Bon. A publié quelques nouvelles et poèmes, un manuscrit attend dans un tiroir. Aime jouer avec les mots, leur musique et l'esprit singulier de la langue française. Depuis peu, une envie de peindre, en particulier la technique des pastels. Récits de voyages pour retenir le temps. A découvert les potentiels du net depuis peu et essaie d’approfondir au fur et à mesure.