Je ne suis pas entré dans la maison à reculons. La curiosité d’un enfant est toujours plus forte que la crainte de ses conséquences éventuelles. J’y ai pénétré néanmoins avec appréhension. Mon exploration se termine par un bruit de moteur et le claquement de portières,. Il faut s’enfuir. Sinon la peur diffuse deviendra terreur réelle . Et comme je l’ai dit, au bas de l’escalier, surgit une figure monstrueuse hirsute et rougeaude. Inattendue et pourtant concrète. Bruit de moteur et claquement de portières n’ont rien à voir avec cette apparition. Il était déjà là ! Il dormait dans le petit salon. Le voilà éveillé , furieux d’être dérangé et excédé par mon intrusion. Surtout par mon intrusion.
Comment être naïf à ce point ? La DS n’est pas garée devant la maison comme d’habitude. Et alors ? Ensommeillé et sans doute un peu ivre il nous a pourtant entendus et probablement vus. Et me voilà à quelques mètres de lui. Coincés ?
Comme je ne l’ai pas dit, cette figure n’est monstrueuse que dans mon esprit. Elle peuple mes cauchemars et de mes fantasmes. Pendant l’enfance, ça compte les cauchemars et les fantasmes. Le maçon terrorise, je l’imagine plus que je le sais, une partie du voisinage. Ce n’est qu’un homme de taille moyenne, voire plutôt petit, mais que son métier a rendu très costaud. La casquette vissée sur la tête, légèrement de travers, cache à-demi un regard vif dans lequel se perçoit une fureur à peine contenue. La moustache broussailleuse et les joues mal rasées ajoutent à l’impression négative que sa tenue négligée imprime dès le premier contact . C’est un homme en colère. Il se fiche bien de l’opinion des autres. Il n’aime pas être contrarié. Il lui suffit de frapper l’esprit des personnes qu’il croise pour lui éviter de l’être. Comme je l’ai dit, il a femme et enfants. Je les connais bien mais ils ne seront pas avant » l’évènement » associés à sa figure diabolique. Pour le moment, il ne s’agit que de pressentiment.
Toute la rue est peuplée de personnages remarquables, à leur façon.. Aucun ne laisse indifférent et tous se sont très certainement faits une idée du maçon. Ils entretiennent avec lui des rapports que je ne connais pas mais que je devine à divers signes.
Comme je l’ai dit, en haut de la rue veillent les deux grandes maisons des Nakam. et des Piraud. L’habitat populaire, et pauvre des années passées fait place à un habitat plus huppé. Ce n’est pas sans conséquence. Tout en bas, à proximité de la petite maison bien soignée de la mère Moysan. est venue s’installer dans une grande bâtisse cubique, ceinte d’un joli jardin, la famille du Docteur Gouesnard. Le maçon entretient des relations assez froides avec la vieille Madame Durand. et son fils Guy dont la maison préfabriquée se situe juste à côté de la sienne. La vie tranquille de la veuve et de son fils s’accommode mal du train bruyant de leur voisin. Madame Durand. regarde le plus souvent par dessus ses lunettes. Elle laisse ses rideaux entr’ouverts et s’intéresse plus aux faits et gestes des rares passants qu’à son tricot.
Il y a, je le réalise maintenant, le haut et le bas de la rue, ceux du haut et ceux du bas. Longtemps la deuxième moitié de la rue n’était qu’un chemin rural longé de prés et de bosquets.
Toutes les familles, se connaissent et entretiennent entre elles des relations plus ou moins cordiales. Est-il possible de les décrypter, tenter d’en saisir la substance ? Cette rue, j’en prends conscience, est une scène de théâtre, sur laquelle elles se meuvent
Comme je l’ai déjà dit, je publie ce petit texte sans aucune satisfaction car les indications d’écriture ne sont pas respectées et j’ai trop « buté » sur celui-ci pour que ce soit intéressant et porteur de sens et d’avenir. Mais je devine qu’en ne publiant pas, je lâcherais prise. On s’accroche en espérant trouver une voie qui permettra d’y arriver.
Tout pareil. Je me force et cela va… comme cela peut, ah ben tiens : nulle part ! 🙂
Nulle part ? Je n’y crois pas. Merci en tout cas de votre solidarité . Elle m’est précieuse ! Je m’en vais de ce pas lire vos contributions et je suis certain que j’y trouverai mon compte. Aller comme ça peut , c’est déjà ! Au moins, on va .
« Il y a, je le réalise maintenant, le haut et le bas de la rue, ceux du haut et ceux du bas. Longtemps la deuxième moitié de la rue n’était qu’un chemin rural longé de prés et de bosquets. »
Consigne ou pas, ici il y a une histoire à raconter et des personnages à rencontrer, mais c’est le narrateur enfant ou adulte qui choisira l’angle d’approche. Moi aussi à un moment j’ai eu la tentation de décrire seulement une rue , un quartier d’enfance ,de haut en bas, et de ressusciter ses occupant.e.s….
La figure coléreuse de votre maçon aurait été celle d’un boucher prospère, également propriétaire du logement que nous occupions. Il aiguisait ses couteaux en plein air devant les gamins en les menaçant de leur couper les oreilles en pointes en cas d’incivilité ou impolitesse. Bien sûr , il ne l’a jamais fait, mais il a séquestré sa fille aînée pour l’empêcher de fréquenter les garçons. Elle a fini par fuguer et le plonger dans une honte sociale abyssale. Très peu de compassion pour lui, bien évidemment. La fille a taillé sa route et s’est sans doute réconciliée, on a pas su… Le fils a repris la boucherie, même costume, même visage rondouillard en plus jeune. La rue a été débaptisée mais les maisons sont restées à peu près intactes, y compris mon école devenue gîte touristique, juste un peu plus feuillues et fermées par des barrières opaques à ouverture électronique.Chacun.e chez soi, et les gosses seront mieux gardés ? Que sont-ils, que sont-elles devenu.e.s ? Où sont ceux de maintenant ?
Votre texte me plaît , il me rapproche des thèmes que cet été d’écriture me laisse encore effleurer. C’est bien la focale qui permet de choisir quoi écrire. Et qu’importe la consigne, ce n’est qu’un repère, même pas un canevas pour moi. Je m’inspire plus de la démarche des auteurs -ressources, de l’intérêt que m’inspire leur trajectoire, que de leur façon d’écrire. Je puise bien davantage dans mes propres lectures. Et je ne me force pas. J’écris pour rester dans l’écriture pendant un laps de temps suffisant sans m’y noyer. C’est une écriture sautillante de dauphin femelle entre le ciel et l’eau. Beaucoup de rires en surface et de saltos dans la langue … Mais pour cet Atelier, c’est le fond qui est important, la forme ( toujours à travailler) n’est là que pour accompagner le désir de s’exprimer clairement en public. Pour soi, on sait toujours si c’est possible ou non et à quelles conditions. Votre avis m’intéresse car vous semblez hésiter et vouloir vous conformer à l’exercice vécu comme une commande. Merci d’avance.
Grand merci pour ce commentaire qui est un texte à lui seul et qui fait presqu’étrangement écho au mien pourtant très incomplet. De mon côté, les propositions sont importantes au regard de leur densité ( qui fait que j’ai du mal ensuite à sauter l’obstacle) et du fait de la confiance que j’accorde à François. C’est exigeant et j’aimerais avoir encore la capacité de travail et de concentration que j’avais du temps de ma « splendeur professionnelle » ( sourire d’auto-dérision) pour forcer l’obstacle. Trop s’écarter de ces propositions reviendrait à s’égarer, à aller « à sauts et à gambades » et j’ai besoin – en tout cas présentement- d’un fil conducteur . Pas d’un berger bien sûr, mais d’un accompagnateur au moins. Dialogue à poursuivre mais, dans l’immédiat, je n’ose pas participer au zoom hebdomadaire !